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« Contes des sages qui dansent » aux Éditions du Seuil

Céline Ripoll publie un recueil qui prouve que les contes traditionnels ont la danse infuse. 

Céline Ripoll est une spécialiste passionnée des cultures d’Océanie. Elle vit sur l’Île de Pâques et avait déjà recueilli et publié, aux Editions du Seuil, les Contes des sages de Polynésie, de Papouasie-Nouvelle-Guinée et des Aborigènes.

Mais elle est aussi  conteuse, et danseuse! D’où l’idée de fouiller les terres littéraires du monde entier – et surtout les bibliothèques – à l’affût de toutes ces figures légendaires qui dansent pour retrouver la lumière, pour guérir, pour apaiser les dieux, communiquer avec le royaume des ombres, trouver la liberté, ou bien fêter l’union avec la nature, et notamment avec les oiseaux. 

« Les musiciens brament pour toi. Bombe le torse, entre en scène, danse et sois. » 

Les mots ci-dessus ne s’adressent pas à un B-Boy contemporain, mais au jeune garçon amérindien du Mexique qui exécutera la danse du cerf, pour se transformer. Il a été averti : « Tu vas devenir ce que tu danses. » Car dans un récit fondateur, on ne danse pas pour soi-même mais pour accomplir le destin de sa communauté : « Chaque fois tu mourras, et pourtant ta danse restera immortelle dans l’esprit de ceux qui t’auront vu et dans le corps de la terre. » En Amérique du Nord, chez les Objiwés, on souligne tout autant la force réssurectionnelle de la danse : « Ta danse est ta bannière, car on n’arrête pas un peuple qui continue de danser », d’autant plus que « Le soleil a dansé sur l’horizon, puis a montré le chemin au mal pour qu’il disparaisse. » 

Céline Ripoll dédie ce recueil « A Mourad Merzouki, à ceux qui, en secret, ont fait danser mon âme et mon cœur. » Et au lieu de nous rabâcher la sempiternelle citation de Pina Bausch (vous savez bien laquelle), les contes du monde entier sont ici placés sous le signe de Susan Buirge : « Fais attention à ce que tu danses, car ce que tu danses, tu le deviens. » La magie l’emporte sur le drame.

En Inde, le Raja de Kottarakkara s’adresse au dieu Krishna : « Je dois me battre à armes égales, et ce n’est pas par la guerre que je me vengerai, mais bien par la danse. » Au Japon, Uzume rappelle : « Danser est une naissance, danser purifie l’âme... » 

 

« Danse, et la lumière ne s’arrêtera jamais de briller »

Par la danse, c’est un autre monde qui s’ouvre, avec les Selk’nam de Patagonie: « Les femmes qui avaient déjà le pouvoir de donner la vie, qui connaissaient tous les remèdes, les chants, les danses, pouvaient désormais décider de la mort aussi. » Pourtant, cette histoire se termine dans la violence. Dans l’ensemble cependant, les danses des guerriers et des montreurs d’ours, le haka ou autres joutes de testostérone sont présents, mais largement minoritaires. La danse, c’est la vie. Logiquement, les femmes ont ici la parole. On danse pour guérir, pour l’enfant ou pour l’oiseau.

Une certaine Brolga, par exemple. La jeune « oiselle danseuse » pour laquelle la métamorphose en une grue australienne (brolga, justement) signifie qu’elle épouse sa destinée, appartient aux peuple Mutti Mutti. Jeune fille aborigène, elle regardait les hommes danser au bord du lac. En se mettant à danser, elle s’empare donc d’une pratique réservée aux hommes (« Les femmes ne dansent pas, les femmes non, mais Brolga si ») et suggère à l’humanité : « Il y a un danseur en chacun de nous, devenons la danse et nous serons libérés de tout. » 

« Ce soir, nous danserons sans fin pour faire partir le mal »

Au Myanmar, la Danseuse du royaume des paons se trouve un fiancé. C’est Chaushutun qui voit «ses jambes se transformer en pattes, ses bras en ailes et ses habits devenir des plumes de la plus grande beauté. » Pas triste pour autant,« il fit la roue pour Namarona et dansa jusqu’à la tombée de la nuit. » Et surtout, qu’on ne danse jamais par vanité! Les Inuits le savent, quand ils se rappellent l’histoire du hibou Ookpik qui dansa pour se vanter après la prise d’un bon lemming lequel, libéré des griffes, « prit la poudre d’escampette ». Et madame de s’énerver face à tant de légèreté: « Ta danse d’orgueil nous a privés d’un bon souper! »

Si Ripoll a consulté une longue liste d’ouvrages consacrés aux contes, récits et mythes, au sacré, au théâtre et aux danses des cultures du monde, elle ajoute de brefs essais évoquant le butô et la danse break. Presque un livre-objet, Contes des sages qui dansent est richement doté de reproductions de gravures, peintures ou photographies historiques, issues de toutes les cultures dont ces contes nous livrent âmes et ambiances et nous font comprendre qu’il n’y a ni peuple ni individu qui n’entretienne pas un lien ombilical avec la danse. A condition de bien vouloir s’écouter. Autrement dit, on savait bien que les contes ont le pouvoir de nous reconnecter à notre « humanité » universelle. Mais quand les récits s’envolent grâce à la danse, ils nous montrent la voie. 

Thomas Hahn

Éditions du Seuil, octobre 2020
230p., € 19,90

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