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Jean-Christophe Maillot - 20 ans à Monaco (1)

Jean-Christophe Maillot, malgré un planning chargé (création de La Mégère apprivoisée pour le ballet du théâtre Bolchoï de Moscou répétitions de New Sleep de Forsythe et de la création de Marco Goecke ) nous a accordé de son temps pour revenir sur ses vingt ans à la tête des Ballets de Monte-Carlo et nous donner son sentiment sur la danse aujourd'hui… L’occasion également de faire un bilan à travers ce grand entretien exclusif.

Jean-Christophe Maillot@Alice Blangero

1 - Le chorégraphe et l'institution

Que signifient pour vous ces 20 ans à la tête des Ballets de Monte-Carlo, mais aussi, 30 ans de carrière, puisque vous dirigiez le Centre Chorégraphique National de Tours depuis dix ans quand S.A.R la Princesse de Hanovre est venue vous chercher pour diriger les Ballets de Monte-Carlo ?

C’est exactement la réflexion que je me suis faite ! Je suis sous contrat depuis l’âge de dix-huit ans… Pourtant, je n’ai jamais eu d’ambition en ce qui concerne ma carrière. Ou plutôt, je n’ai jamais réussi à me projeter dans l’avenir. Pas plus que je ne suis sujet à la nostalgie. Je suis, en fait, toujours obsédé par le présent. Donc finalement, je ne compte pas trente ans de carrière, mais trente fois un an. Je le vis comme ça. Et soudain, je me retourne et je mesure le temps écoulé. Cela dit, l’absence de plan me rassure et je me demande si ce n’est pas la plus belle façon de construire. Car je suis parti d’un appentis sans jamais songer à avoir une maison… elle s’est construite peu à peu, presque à mon insu.

Et, bien que ça me fasse toujours un peu peur, d’avoir une maison, je suis heureux de voir tout ce qu’elle a généré au fil du temps.  Et je me rends compte, finalement, que j’ai un parcours assez droit dans sa démarche et dans son objectif.

C’est vrai que l’on retrouve des invariants dans votre façon de mener une compagnie que ce soit à Tours ou à Monaco…

Aujourd’hui, quand je repense à Tours et que je revois le CCN, ça me fait sourire. Parce que construire un Centre chorégraphique à Montpellier avec Georges Frêche comme maire, ça frôle l’évidence, mais la construction d’un CCN dans la ville de Jean Royer, ça frôle l’exploit ! Et c’était l’un des seuls CCN de France où la ville donnait une fois et demie le budget alloué par l’État.

Et l’un des seuls CCN, mis à part Montpellier justement, à fonder en même temps un festival de danse…

C’est vrai, et déjà à l’époque, d’inviter des chorégraphes dans la structure. C’était une conviction. Ici, j’ai monté le Monaco Dance Forum au fond pour les mêmes raisons qui me paraissent fondamentales. Aujourd’hui, il s’est un peu amoindri, pour les raisons financières que l’on connaît, mais quand je pense au nombre de rencontres, à la dynamique qu’il a suscité, je suis plutôt content.

Jean-Christophe Maillot@Alice Blangero

Quelle était votre vision d’un ballet en arrivant à Monaco ?

En 1992-93, quand j’ai décidé de prendre la direction des Ballets de Monte-Carlo, je me souviens que beaucoup y voyaient une retraite anticipée – avec le bonus financier et ensoleillé que l’on pouvait imaginer en pensant à Monaco ! Aujourd’hui, les Ballets ont une crédibilité indiscutable quant à son contenu et ce qui s’y passe. Et je suis très heureux d’avoir créé un outil qui corresponde au lieu où je me trouve. Je pense d’ailleurs que ce devrait être la mission première de tout directeur de compagnie qui postule pour une structure. Avant même d’avoir à mettre en avant sa vision personnelle des choses, il devrait chercher à l’adapter à la particularité des lieux qui l’accueillent. Ça me paraît une évidence, mais il semblerait que ce ne soit pas toujours le cas.

Pour l’anecdote, j’ai reçu l’appel d’un candidat au Ballet de Marseille qui m’a demandé des conseils et notamment si je connaissais ce Ballet. Je ne connais pas la structure, mais ce que je sais, c’est qu’une institution comme celle-là, si elle ne s’inscrit pas dans la Cité, dans la particularité des lieux et que l’on se contente d’y venir avec son projet artistique sans prendre en compte la ville, ça ne risque pas de marcher. Et j’étais assez ébahi de constater que ce n’était pas une priorité pour mon interlocuteur. C’est même troublant.

 

Qu’avez-vous ressenti en arrivant à la tête des Ballets de Monte-Carlo?

J’ai toujours eu conscience d’avoir une situation exceptionnelle à Monaco, dont je continue parfois à me demander pourquoi c’est arrivé. La seule question que je me pose est de me demander ce que je serais aujourd’hui si je n’étais pas venu ici. Sans doute je ne ferais plus partie de ce monde de la danse. Il y a donc eu là quelque chose d’unique. Je n’ai jamais eu le sentiment que je le méritais. Donc je devais le « rendre » j’étais redevable. Et c’est ce qui m’a nourri. C’est aussi ce qui m’a poussé à créer le Monaco Dance Forum, à inviter Sidi larbi Cherkaoui ou  Emio Greco à chorégraphier pour la compagnie, entre autres, ou à  reprendre l’Académie Princesse Grace. Ça me réjouit de savoir que j’ai pu donner à beaucoup de danseurs l’occasion d’être dans une compagnie dont le directeur avait aussi l’âme d’un chorégraphe et que, du coup, j’ai pu leur offrir ce regard si primordial pour eux, sans pour autant les exclure d’autres rencontres en leur procurant la possibilité de travailler avec des chorégraphes talentueux. Je n’ai jamais eu peur de cette comparaison ou de cette confrontation qui  m’a toujours beaucoup apporté. Du coup, cette compagnie est assez unique parce qu’il n’existe aucun autre outil tel que celui-là.

Pourquoi, en tant que chorégraphe, avez-vous un tel souci – ou un tel désir – de mener en même temps un travail de programmation ?

Même William Forsythe m’avait demandé « Pourquoi tu fais  ça ? » sous entendant que je devais être fou. Non, je ne suis pas fou, dans la mesure où mon travail de chorégraphe est lié à ma vision et à ma fonction de directeur de compagnie. Je ne peux dissocier ce qui concerne la chorégraphie de ce qui me passionne, soit le rôle d’une compagnie dans une cité. J’aurais pu me contenter d’être le chorégraphe des ballets de Monte-Carlo sans rien faire de plus. Mais, si on arrive désormais à compter 1 800 spectateurs chaque soir sur un Casse-Noisette, c’est aussi parce que j’ai montré au public le Bolchoï et le Kirov en passant par le Royal Ballet mais aussi Chris Haring, Maguy Marin ou Olivier Dubois, entre autres. De plus, toutes les compagnies que l’on a fait venir ici me semblent être la revendication première de ce à quoi je crois dans le monde de la danse. C’est-à-dire : bien que les mondes de la danse ne se mélangent pas, ils se complètent pour former un tout. L’idée de l’exclusion systématique – quand on n’est pas de la même chapelle chorégraphique – m’est insupportable. À Monaco, j’ai pu faire partiellement le travail que font le Théâtre de la Ville, le Théâtre national de Chaillot, le Théâtre du Châtelet, les Abbesses et la Ménagerie de Verre ou l’Opéra de Paris. J’ai cette volonté d’inscrire la danse dans la différence, j’ai toujours aimé ça.

Propos recueillis par Agnès Izrine.

À suivre : l'écriture, la danse, les danseurs

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