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Rencontre avec Yvann Alexandre
Yvann Alexandre est sur tous les fronts : Il prend la direction d’un théâtre et mène de front un projet international ainsi qu’une création pour monuments historiques. Rencontre.
Danser Canal Historique : Yvann Alexandre, vous avez été nommé à la direction du Théâtre Francine Vasse à Nantes et vous allez y mener un projet à partir du 17 juin.
Yvann Alexandre : Ma compagnie est implantée à la fois à Angers et à Nantes. J’ai toujours souhaité avoir cet axe de transmission entre les deux villes, dans le cadre de mon projet élargi au Pays de la Loire, tourné vers le tout public et les amateurs, que je mène depuis plusieurs années. C’est une nouvelle casquette et un tournant majeur dans le projet de la compagnie qui fête ses 27 saisons chorégraphiques. Le Théâtre Francine Vasse est un théâtre municipal. J’ai envoyé un projet à la municipalité, sans viser un lieu précis. L’idée a été le fruit de ma candidature pour la direction du CCN de Nantes, qui n’a pas abouti. Mais j’avais adoré faire le travail de diagnostic et de me projeter dans un tel projet. Pour ce faire, j’ai profité de mon expérience sur le territoire. Le titre de mon projet était Les Laboratoires Vivants et la ville l’a accepté comme base d’un dialogue.
DCH : Sur quoi repose votre projet pour le Théâtre Françine Vasse ?
Yvann Alexandre : Ce théâtre sera un lieu au cœur de la cité pour un projet autour de théâtre, danse et les autres écritures, ce qui inclut le cinéma, la musique etc. Le lieu sera partagé 50-50 entre professionnels et amateurs, alors que mon travail de création avec ma compagnie se fera ailleurs. Je veux faire du Théâtre Francine Vasse une vraie maison, où on se croise pour inventer et créer ensemble. Il n’y aura pas de projet porté par une compagnie seule et les artistes y mutualiseront leurs outils pour répondre aux enjeux de demain. Ce sera une maison pour des actions partagées au lieu de voir une succession de compagnies en résidence.
DCH : S’y dessine une ligne commune avec votre projet Connexions - Petite Université de la Danse.
Yvann Alexandre : En effet, elle va trouver sa place dans le projet du lieu et elle en représente bien l’esprit. Ce projet que nous avons lancé à Paris à Micadanses [lire notre article], et qui se complète d’une plateforme de soutien à la mobilité des artistes, est aujourd’hui bien ancré dans le paysage. Sans oublier la dimension internationale, notamment sur les territoires francophones, nommé Archipel. C’est un projet un peu fou qui s’est construit sur mes relations avec des pays comme le Quebec.
DCH : Comment fonctionne Archipel ?
Yvann Alexandre : L’idée était de ne pas construire un réseau. Les réseaux sont chronophages et ont souvent une durée de vie courte parce que les partenaires se ressemblent trop. Je cherche plutôt à fédérer des structures radicalement différentes: Des lieux de création, de diffusion, de gros joueurs comme la scène nationale de Nantes et des petits lieux en milieu rural. Des lieux en écriture, en recherche, en enseignement supérieur. Et tous ces partenaires, au Québec, en Tunisie, en Pays de la Loire etc. pourront offrir des parcours complets aux artistes, au-delà de parcours de diffusion. Un partenaire peut proposer une résidence d’écriture ou de recherche, un autre une résidence lumière, un troisième une action en développement et un quatrième la diffusion. Archipel construit des parcours pour les compagnies, en amont ou en aval d’une création. En juin, nous allons organiser à Nantes notre premier Séminaire de Co-construction, avec nos partenaires québécois et tunisiens. En novembre nous nous réunirons à Montréal et en avril 2020 en Tunisie, avec le soutien de l’Institut du Monde Arabe. C’est important. Dans les réseaux, les uns ne connaissent souvent pas la réalité des autres. Nous avons aussi obtenu un énorme soutien sur deux ans de la part du Fonds Franco-Québécois de Coopération Décentralisée.
DCH : L’asymétrie est probablement la plus forte avec votre partenaire tunisien ?
Yvann Alexandre : Il s’agit de l’association Al Badil, l’Alternative en français, créée par Selim Ben Safia qui fait pleinement partie de la construction du projet Archipel. Il forme des médiateurs qui créent des espaces pour les artistes, puisqu’il a constaté qu’il n’y avait pas d’espaces pour la danse en Tunis en dehors de Tunis. Il part donc de la création de richesse humaine. C’est extraordinaire. En plus Selim est un artiste qui porte son regard sur le monde et imagine des outils de solution différents.
DCH : Existe-t-il aussi un lien entre ces projets et le spectacle Origami que vous présentez le 19 juin à la Chapelle Expiatoire de Paris, dans le cadre de Monuments en Mouvement ? Peut-être par le mélange des langages entre danse et poésie ?
Yvann Alexandre : Il y a en effet de la danse et des textes, signés Sylvain Patieu avec qui j’ai collaboré pour En armes, notre duo créé pour le festival Concordan(s)e, ainsi que un duo musical de batterie et soubassophone, cet énorme instrument qui empêche le corps. Quand j’ai créé Les Fragments Mobiles à la Conciergerie avec Monuments en Mouvement à Paris, il y avait ce rendez-vous, à une heure fixe. Mais dans un monument il y a plein de petits espaces qui ne sont pas accessibles pour autant et la lumière change au cours de la journée. Le rapport à la pierre se modifie. Ca m’a donné envie de créer une œuvre complètement explosée, avec une trentaine de petites formes, qui durent entre une et vingt minutes. Elle se déplient et se replient. D’où la référence à l’origami. Les formes se jouent dans des espaces différents et à des moments différents pour révéler d’autres facettes du lieu et de la chorégraphie. Par exemple, un solo sera donné dans une petite pièce fermée et dans un grand carcan végétal. La résonance entre les corps et le décors sera très différente. Pour le spectateur, le parcours est libre. Il n’est pas invité à nous suivre mais reçoit un programme qu’il déplie pour connaître les lieux et les horaires de différentes propositions. Beaucoup de choses se déroulent en simultané , il lui est donc impossible de suivre tout en même temps mais il est autonome pour construire sa visite du monument. Les horaires d’Origami s’adaptent aux monuments. Au Château d’Angers nous avons convoqué les spectateurs à une heure très matinale. Car on ne sait pas que ce lieu est une réserve d’oiseaux. Au petit matin, ils se sont trouvés au cœur d’un ballet d’oiseaux et de leurs chants. C’était magique.
DCH : Quels rapports allez-vous développer avec le site de la Chapelle Expiatoire ?
Yvann Alexandre : La Chapelle Expiatoire est un lieu très difficile et nous travaillons sur le projet de ce spectacle depuis deux ans. D’abord, il se trouve dans un paradoxe entre ses dimensions royaliste et républicaine. Ensuite, quand on y entre, on a l’impression d’un lieu très resserré. Mais dès qu’on se déplace on trouve énormément de perspectives, y compris par sa dimension souterraine. C’est plein de volutes et d’angles et il fait prendre son temps pour les découvrir. Nous investissons la Chapelle le matin, pour nous adresser aux gens qui vont au travail, à midi pour ceux qui viennent manger leur sandwich dans le parc et de 17h à 23h, pour laisser l’œuvre de déplier dans la Chapelle. Les musiciens seront sur le toit terrasse de la chapelle, créant des dialogues à la fois élégants et dissonants avec la danse et les textes.
Propos recueillis par Thomas Hahn, juin 2019