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« Amour-S, lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… » de Radhouane El Meddeb
Une des meilleures pièces du chorégraphe, créée aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis.
Lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… est le titre d’un poème de Gibran Khalil Gibran, poète et peintre né au Liban, ayant vécu aux Etats-Unis la majeure partie de sa vie, où il inspira, d’ailleurs, les contres-cultures occidentales à l’aube des années 30 du siècle dernier. Chrétien maronite mais féru de culture libano-syrienne, fasciné par le bouddhisme et la réincarnation, écrivant en arabe comme en anglais, son côté inassignable à résidence avait tout pour séduire Radhouane El Meddeb qui n’aime rien tant qu’échapper à tout cadre un peu convenu et même à soi-même, comme en témoigne le titre de son premier solo (Pour en finir avec MOI).
Et cette création a tout autant une dimension échappatoire, que d’approfondissement personnel ou du travail avec ses interprètes. Mais au fond, n’est-ce pas le mouvement même de(S) amour(S) ? Echappatoire, parce que la chorégraphie suit une ligne surprenante, un peu erratique, comme la partition pour piano que joue Nicolas Worms qui en est aussi le compositeur. A la fin, il préfèrera disparaître, une fois ses notes toutes égrénées en nuances légères et en atmosphères évaporées.
Galerie photo © Laurent Philippe
Chacun des interprètes a son corpus, un vocabulaire qui fait corps avec lui et qu’il développe lors d’un solo d’une vingtaine de minutes. Mais voilà, il semblerait qu’à chaque fois la logique lui en échappe au fur et à mesure que sa danse se précise et le déborde.
Tout commence avec William Delahaye. Un jeune danseur dont la technique initiale pourrait tout autant provenir de chez Etienne Decroux que du hip-hop, jouant avec brio d’une souplesse sinueuse et de qualités arrêtées nettes. Mais après avoir suivi avec attention ses évolutions, disons de mime acrobatique, on les oublie complètement. On laisse dériver son imagination vers toute autre chose qui pourrait être ce que l’amour me fait, ou une quête de soi, le récit de premiers émois, un souffle qui nous traverse, une avancée vers l’inconnu… Au lieu de le voir déployer une technique ou une autre, il incarne par le geste ses états amoureux avec une délicatesse et une pudeur inouïe et entraîne dans son sillage nos propres sensations.
Galerie photo © Laurent Philippe
Deuxième temps avec Chloé Zamboni. Une gestuelle puissante, un brin désordonnée, ou sauvage, comme on préférera, et néanmoins une certaine répétitivité dans sa séquence. Mais bientôt l’ondulation mélodique soutenue et reprise, voit surgir une phrase moins articulée qu’émanante de tout son corps, soulevée, comme d’un hardi coup de rein. Est-ce la passion qui l’embrase et empreint le solo d’une franche sensualité, d’une accentuation vigoureuse, d’une inquiétude tue ? Son acharnement fugitif et terriblement sensible semble laisser fuir quelque secret, saisissant et magnifique.
Enfin, Philippe Lebhar est le troisième larron qui tourne en rond comme pour chercher l’ivresse. Mais ses tours incessants distillent une joie tout enfantine, pulsionnelle, heureuse. Il est ravissement à lui même, flottement, liberté, et son rire nous rappelle la fin de la précédente pièce d’El Meddeb : Face à la mer pour que les larmes deviennent des éclats de rire.
Galerie photo © Laurent Philippe
Portraits remarquables de ces trois interprètes, Amour-S, lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le… a quelque chose d’une confession intime, un moment d’intense vérité qui traverse avec force l’œuvre chorégraphique de Radhouane El Meddeb. Avec ses lumières et ses circonvolutions, c’est une autre façon de s’adresser au monde, dans sa dimension collective, ou d’inconscient collectif, autrement que par la mise en scène de ses rapports. Ici, il s’agit de creuser en soi-même pour être différemment au monde… Face à l’amour pour que les larmes deviennent des éclats de rire ?
Agnès Izrine
Le 4 juin au Théâtre Marcellin Berthelot, Montreuil. Dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis.
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