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Le catalogue Rodin et la danse

Vient de paraître le catalogue, richement illustré, de l’exposition Rodin et la danse qui se tient jusqu’au 22 juillet 2018 au Musée Rodin.

Dès les années 1880, le sculpteur introduisit ce thème dans ses dessins au crayon, à la plume et à l’encre de chine ayant pour titres : Danse, Danse de la Mort, Danse des ombres ou Danseuse javanaise. Il s’intéressa à différents types de danses et (surtout ?) de danseuses sans éprouver la passion d’un Degas pour la petite ballerine, en quête de nouveaux corps – de physiques que l’on n’avait pas trop eu l’habitude de voir jusqu’alors – que les expositions coloniales et universelles lui amenaient pratiquement à domicile.

Son goût pour la danse s’avéra sûr. Il apprécia non seulement la « réforme » des Ballets Russes – une note de Nijinski dans son journal, une esquisse du sculpteur et un petit plâtre représentant le danseur, identifié en 1957 par Lillian Browse dans les réserves de l’hôtel Biron, prouvent que celui-ci posa bel et bien pour lui – mais aussi les féeries lumineuses d’une Loïe Fuller qu’il connaissait depuis au moins 1898.

Contrairement à André Levinson, très circonspect vis-à-vis de certaines figures de la danse d’avant-garde, il fut sensible à l’interprétation très « libre » de l’antique d’Isadora Duncan. Une photo montre celle-ci dansant dans un jardin de Vélizy, en 1903, pour la fête en l’honneur de Rodin promu au grade de commandeur de la légion d’honneur. L’historienne de l’art Juliet Bellow analyse le rôle de ces chorégraphes majeur(e)s dans l’œuvre de Rodin et évoque l’influence du grand critique (et inspecteur général des beaux-arts) Roger Marx, ami, rédacteur et conseiller du sculpteur, qui lui avait présenté Fuller, la futuriste « métachoriste » Valentine de Saint-Point et sans doute également la pionnière de la « modern dance » Ruth Saint Denis, lors de son passage au théâtre Marigny. Vingt-cinq ans avant le choc d’Artaud face à la danse balinaise, Rodin s’enticha pour les danses issues du continent asiatique.

Fasciné par les danseuses du Cambodge, il fit spécialement le voyage à Marseille en 1906 pour les revoir sur scène. Il tomba sous le charme d’une des protégées de la productrice de spectacles qu’était aussi Loïe Fuller, la Japonaise Miss Ôta Hisa, alias Mme Hanako. La « danse nouvelle » s’élargit donc aux expressions du bout du monde – plus que leur aspect exotique, c’est le côté érotique qui attirait Rodin – et à celles traditionnelles, comme le note la conservatrice Sophie Biass-Fabiani : aussi bien la bourrée (cf. celle interprétée par Claire de Choiseul) que les espagnolades de la charmante Carmen Damedoz.

Pour simuler par le dessin, puis par le plâtre, le mouvement, l’artiste pouvait demander à ses danseuses-modèles des poses invraisemblables, acrobatiques, voire périlleuses. L’extrême patience d’Hanako, les équilibres insensés et les dislocations virtuoses d’Alda Romano donnèrent lieu à de grandes séries de croquis, d’ébauches et de masques qui ont immortalisé ces femmes au moins jusqu’à nos jours. La technique rodinienne évolua au contact de la danse, ce que montrent le conservateur de Tours, François Blanchetière, et les restauratrices Agnès Cascio et Juliette Lévy dans un chapitre traitant de « Rodin au travail ». Les traces, en deux ou trois dimensions, constituent une anthologie du corps trouvant un équivalent dans la Comédie humaine de Balzac, un des héros du grand artiste qui aimait les hommes pourvu qu’ils fussent au moins tout aussi « grands » que lui. Cette étude du corps élaborée d’après la directrice du musée, Catherine Chevillot, entre 1903 et 1912, a simplement pour titre Mouvements de danse.

D’après Christine Lancestremère, le « modèle privilégié » est Alda Moreno. Alexandra Gerstein, conservatrice à la Courtauld Gallery, traite des rapports de Rodin et d’Alda, modèle et compagne d’un des disciples de Rodin, le sculpteur Jules Desbois, qui inspira aussi à van Dongen sa toile L’Acrobate. Pour la conservatrice, les Mouvements de danse servent de « charnière entre le XIXe et le XXe siècle, entre la fin d’une tradition et l’aube d’une vision nouvelle ». Ils annoncent la Körperkultur. Pour certains, ils préfigurent l’expressionnisme.

Boccioni avait considéré qu’ils allaient dans le sens futuriste de l’histoire de l’art, abolissant la « ligne finie de la statue close », animant « la ligne musculaire statique » au moyen d’une « ligne-force dynamique ». Antoinette Le Normand-Romain estime que Rodin devint un artiste « conceptuel » lorsqu’il confia à ses nombreux assistants tout le travail de modelage. Il multiplia dès lors sur le papier les « arabesques inédites et bizarres » et se livra à ce qu’Aragon appela, pour qualifier l’activité dada et surréaliste, des « collages immatériels ». La directrice de l’INHA cite ces propos tenus par le sculpteur en 1906, après le spectacle des danseuses cambodgiennes : « Pour moi, je sens bien qu’à les regarder, ma vision s’est élargie : j’ai vu plus haut et plus loin ; enfin j’ai appris ».

Nicolas Villodre

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Rodin et la danse, 2018, Musée Rodin/éditions Hazan, 192 pages, 35.00 €

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