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« Ba\rock » : Jeroen Verbruggen au Ballet du Grand Théâtre de Genève
Avec deux créations sur des airs baroques, le chorégraphe flamand affirme sa singularité, dans des styles allant du hard rock au péplum.
« More is more » affirme Jeroen Verbruggen. Une boutade sous forme de pléonasme ? Plutôt un credo qu’il incarne à chaque création. Chez la plupart de ses confrères, un « more » en ornements serait un « less » côté résultat artistique. Chez lui, au contraire, les bouchées doubles se traduisent par toujours plus d’appétit. Pour rebondir sur un autre dicton : « Travailler plus pour désirer plus ».
Le jeune Belge enchaîne les créations à un rythme qui va crescendo. Il vient juste de terminer Ba\rock avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève pour enchaîner le 25 novembre avec la création de Pointless pour le Ballet National de Marseille. Suivront en 2017 les Ballets de Monte Carlo, le Ballet de Nuremberg et le Ballet de Slovénie. Le rythme est tel qu’on voudrait lancer une alerte au burn-out créatif.
Mais on n’y est pas encore. Au contraire : « Je mûris en travaillant comme chorégraphe indépendant et en rencontrant autant de compagnies différentes. » Mais au bout du compte, un « more » quelque part mène toujours à un « less » ailleurs. Et il admet en même temps: « Je suis un peu seul depuis que je travaille en free lance. » Raison de plus pour faire, avec Ba\rock, « une pièce sur l’amour ». Car : « Je suis un romantique. »
Cette soirée en deux parties - Iris et Vena Amoris - autour de Couperin, Scarlatti et Rameau est son deuxième opus pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève, après un Casse-Noisette [lire notre critique] qui l’avait propulsé vers toutes les aventures qu’il enchaîne aujourd’hui.
« More is more »
Pour rebondir sur le jeu de mots du titre générique de la soirée, on peut ici rappeler que le hip hop connaît le top-rock, terme regroupant les danses debout. Inversement, Ba\rock peut donc évoquer le sol. Et effectivement, la première pièce, Iris, accompagnée au piano par Aleksander Shaikin (le jeune Russe qui perce), s’engage sous des auspices résolument telluriques. D’énigmatiques vapeurs montent depuis un caveau, alors que sept créatures en noir célèbrent des élans paradoxaux, chargés d’une vitalité frénétique. Iris invoque des univers romantiques, voire shakespeariens, pour un rituel qui s’achève sur l’apparition de deux divinités en costumes dorés.
« More is more », ça vaut surtout pour l’énergie débordante du style Verbruggen, ici porté à une sorte de paroxysme. Philippe Cohen, directeur de la compagnie, trouve en Verbruggen ce qui lui manque par ailleurs : « Des chorégraphes avec une vraie écriture, un langage. » Il doit donc être comblé. La flamme baroque du jeune Flamand est ici plus flamboyante encore que dans ses pièces précédentes.
Précipitations
« J’ai beaucoup pensé à Balanchine en créant Iris » dit-il. Non sans en bousculer les lignes, de fond en comble. En anglais ça s’appelle : to rock… D’où le fait que cette pièce pour quatre femmes et trois hommes ressemble à une fuite en avant, une surenchère où Scarlatti, interprété au piano, fait face à des élans à la Bouvier/Obadia et à un esprit rock’n’roll délibérément survolté. Le corps et l’équilibre sont mis à l’épreuve de leurs limites comme chez Cunningham, mais exposés à une accélération radicale, déclenchant de véritables tempêtes. Face à Couperin, cette danse hard-rock aux articulations bouleversées agit comme un couperet chorégraphique.
Cette précipitation s’explique. Iris a vu le jour en quatre semaines seulement. D’où son côté quitte ou double. A l’origine, Verbruggen devait assurer uniquement la seconde partie de la soirée. Mais la pièce prévue en ouverture n’a pu être créée. En catastrophe, Philippe Cohen demande à Verbruggen s’il peut assurer la soirée entière. « Jeroen m’a sauvé le spectacle », reconnaît-il. « J’ai été aidé par le fait de déjà bien connaître les danseurs », répond le chorégraphe.
Galerie photo © Grégory Batardon
La cour
Nocturne, furtive et lunatique, Iris est la face cachée de la création principale, Vena Amoris, alors que la musique (Rameau, extraits de l’enregistrement par Marc Minkowski avec Les Musiciens du Louvre sous le titre Une Symphonie imaginaire) appartient au même univers. Et là encore, la danse est une question de « more is more », plus que de références visuelles ou chorégraphiques. Le baroque, c’est un esprit, ici décliné dans une scénographie monumentale. Cinq praticables se combinent ou se répondent pour former une rampe ou évoquer un palais, un champ d’amour ou de bataille.
Si la Belle danse reste absente de ces jeux d’amour et de guerre genevois, les deux parties se retrouvent dans l’idée de faire la cour. Mais là où la danse baroque sacre la lévitation par la stabilité et la mesure, Verbruggen oppose à Rameau une inspiration libre et imprévisible, puissante et énergétique, où l’esprit facétieux, souvent anarchique, frappe d’autant plus que Vena Amoris conserve certaines traces de la symétrie des danses de cour.
Le style de Verbruggen prend pied dans l’instabilité, ici appliquée à des structures stables comme la phalange ou le bal dansé en cercle. C’est dans un esprit subversif par rapport à ces figures qu’il inscrit sa démarche : « J’aime l’esprit de Platel ou Cherkaoui , en rébellion contre l’académisme pour le détourner. »
Singularité
Entre la puissance et le grotesque, la fusion devient possible quand la chorégraphie semble s’inspirer, autant que les costumes, de guerriers en armure. Au fur et à mesure, le Roi-Soleil semble se réveiller et apporter sa touche, quand le corps de ballet se couvre d’or pour égaler l’opulence du couple astral. Et pourtant, Emmanuel Maria signe des costumes plus sobres que ceux de la maison On Aura Tout Vu, dont il est issu et dont il incarne l’esprit même en volant de ses propres ailes. Ba\rock est sa deuxième collaboration avec Verbruggen, après True and False Unicorn, pour les Ballets de Monte Carlo [lire notre critique] et il fait ici preuve d’une belle capacité à se remettre en question et en perspective.
Au résultat, Philippe Cohen a parfaitement raison. Avec sa deuxième soirée pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève, en créant pour une troupe prête à tout, brillante et inspirée, Verbruggen montre une fois de plus la singularité de son écriture, et plus encore. La folle énergie de son style n’a rien perdu de son éclat. Mais on constate aussi que sa précipitation actuelle vers un productivisme certain l’empêche de prendre du recul. Enfin, ça viendra un jour, inexorablement…
Thomas Hahn
Spectacle créé le 2 octobre 2016 à L’Opéra des Nations, Genève
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