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Tout commence en mars 2014. Dans le cadre de ses actions solidaires, la Maison de la danse de Lyon entreprend « le plus festif et le plus ambitieux de ses projets » : créer un grand spectacle chorégraphique et musical associant 250 habitants des 8^e et 3^e arrondissements de Lyon, étiquetés ‘quartiers sensibles’, des musiciens de l’Orchestre national de Lyon et des chorégraphes. Le but ? Emmener les participants au cœur d’un processus artistique, leur permettre de s’approprier la danse ‘de l’intérieur’, offrir à des amateurs les conditions de travail des professionnels. Comme son nom le souligne, « Babel 8.3 », soutenus par les pouvoirs publics locaux et nationaux, veut aussi mettre en valeur la diversité des cultures qui composent la mosaïque urbaine.

C’est à partir des pratiques locales - hip hop, free style, danse orientale, contemporaine, traditionnelle etc. - que Dominique Hervieu, directrice de la Maison de la danse, et les artistes associés ont conçu les différentes séquences composant le spectacle. Dernier axe fort, le mélange des générations. Des bambins des maternelles aux nonagénaires de la maison de retraite voisine, tous les âges sont représentés. Pour faire le lien, des séquences vidéos ludiques évoquent irrésistiblement celles qui ont jadis fait le succès des Montalvo-Hervieu tandis que Mozart, interprété en direct par quinze musiciens de l’ONL, mène la danse sous la direction de Jean-Pierre Caporessi.

Lesté de tant de bonnes intentions, le résultat aurait pu se contenter d’être sympathique et consensuel. Or, il est bouleversant. Jamais, peut-être, on n’aura mieux compris combien la danse, lorsqu’elle est vécue et transmise avec une telle générosité, est un langage universel. Aux barrières linguistiques ou culturelles, aux incompréhensions ou aux conflits, Dominique Hervieu et ses complices opposent le pur bonheur du mouvement partagé. Naïf ? Diablement efficace au contraire, à en juger par les visages émus d’une assistance aussi mélangée que les danseurs.

Dignité des interprètes si beaux dans leurs différences, solidité du propos artistique, engagement absolu au service d’une création commune : il semble que le fameux ‘vivre ensemble’ ait trouvé sur le plateau de la Maison de la danse son incarnation la plus enthousiasmante. Le spectacle s’ouvre sur un défilé des 250 participants, tous vêtus de rouge : surgis des coulisses ou descendus du haut de la salle, ils marchent calmement les uns derrière les autres, longue colonne fière d’une humanité en marche. Il se clôt une heure trente plus tard sur une explosion de joie collective, après que chacun ait pris sa part de la création commune. Ce sont par exemple ces chants berbères, interprétés par des femmes européennes et sur lesquels dansent des jeunes gens « nés en France ». Ou bien ce duo quasi acrobatique entre une fragile mamie aux cheveux blancs et un grand hip-hopeur à la peau noire.

Ces bambins s’ébattant jambes en l’air sur du Mozart, ces ados breakeurs virtuoses devant une projection de la Tour de Babel. Et cette séquence tire-larmes, où l’émotion est à son comble, qui fait ‘danser assis’ les pensionnaires de la maison de retraite La Vérandine. Le tout ponctué d’interviews, plan rapproché, de jeunes et de moins jeunes expliquant ce qu’est pour eux la danse. Il faut saluer le travail des dix chorégraphes : Annick Charlot, Najib Guerfi et Farid Azzout, Thomas Guerry, Dominique Hervieu, Abou Lagraa, Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou, Abdou N’gom et Denis Plassard, assistés de Constance Besançon et Fouad Hammami. Leurs créativités respectives ont su se fondre dans cette aventure exaltante, dont on mesure ce qu’elle a exigé d’efforts et de constance. La réussite de ce « Babel 8.3 » est à la hauteur du défi incroyable lancé il y a plus d’un an par la Maison de la Danse. Outre les 3500 spectateurs venus en trois jours, chacun pourra en juger sur le site de Culturebox, qui met en ligne la captation complète du spectacle !

Du 29 au 31 mai à la Maison de la Danse de Lyon et sur http://francetv.in/babel83

Isabelle Calabre