« PH », de Mié Coquempot
Muséal, or actuel
Mié Coquempot bouleverse la dimension patrimoniale de la musique de Pierre Henry, par l'éclatante maturité de ses résonances chorégraphiques
En terme d'impact spectaculaire, un moment très délicat se joue dans la pièce PH de Mié Coquempot. Tout d'abord sur la pièce musicale Envol, de Pierre Henry, quatre danseurs évoluent longuement en suspension, au bout de câbles. Le regard du spectateur ne manque pas de s'en trouver tout autant transporté. Or, il va falloir redescendre au sol, pour aborder le second tableau de PH, lui sur Empreintes, deuxième pièce musicale que le compositeur a confiée à la chorégraphe (un dernier tableau suivra enfin, sur une troisième pièce, Grande Toccata).
Après que la danse en vol s'en soit superbement affranchie, ce retour aux lois basiquement newtoniennes d'évolution sur le plateau de scène, pourrait induire une perte sévère d'impact ; cela constituant le moment délicat à négocier, qu'on évoquait plus haut. Du reste, cet effet déceptif, de retour à une certaine banalité chorégraphique, se manifeste lorsqu'on visionne une captation de PH par vidéo – procédé qui aplatit en deux dimensions les phénomènes qui se déroulent en trois.
Or il n'en est rien, lorsqu'on partage en live dans une salle, l'expérience sensible développée par cette pièce. Une expérience qui demeure de bout en bout de haute volée, attestant d'un sens exceptionnel de la composition chorégraphique (accessoirement de l'écoute musicale). Car enfin, ce sont peu ou prou les mêmes qualités que les danseurs de PH mettent en œuvre pour évoluer sur scène, que celles qu'ils déploient tout d'abord dans les airs.
Il y a là un sens des volumes, incessamment dépliés, expansés, augmentés, selon une conjugaison modulée de niveaux, de plans, de lignes perspectives ou coulées enveloppantes. Une remarquable qualité d'écoute, de la musique, comme des interprètes entre eux, répand une atmosphère générale de profusion maîtrisée et sereine. Jamais épuisée, une richesse des directions multiples suggère des phénomènes d'enchâssements, emboîtements, recouvrements, qui donnent à éprouver la consistance éminemment vivante de l'espace ; jamais simplement donné, toujours à inventer.
Cette profonde intelligence paraît celle d'une forme d'intimité sensible entre la chorégraphe et le compositeur. Les principes de musique concrète de ce dernier, trouvent ici à s'entendre par les yeux, mais aussi le corps tout entier (du spectateur compris). Lequel cohabite dans un espace intégralement peuplé d'ondes, d'impacts, de purs phénomènes agissant.
Certes, cette rencontre remarquable est sous-tendue par le recours – mais alors subtil et sans tapage – aux technologies les plus actuelles de captation, altération, restitution, appliquées tout particulièrement aux projections d'images. Dès le premier tableau, aérien, cela se fait troublant : à chaque danseur correspond en effet sa silhouette réplique en ombre plaquée, mais qui alors ne lui est jamais tout à fait identique ni symétrique, ensorcelée par on ne sait quels effets de différés, de variations et digressions.
L'œil s'en trouve moins bête, qui n'a pas qu'à s'émerveiller du caractère somptueux d'évolutions en vol, mais est toujours déjà appelé aux échappées poétiques d'un doute généralisé au-delà de l'illusoire stabilité homothétique des images. Aux lumières, la palette picturale de Françoise Michel, qu'on a pu craindre redondante dans d'autres pièces vues par ailleurs, se trouve elle aussi gagnée par la suggestion mouvante des possibles.
La découverte de PH place le commentaire devant un embarras. Si intelligemment respectueuse du sens de la musique de Pierre Henry, Mié Coquempot semble produire une pièce muséale. Y apparaissent indubitablement datés certains partis figuraux de l'écriture chorégraphique, sans parler des costumes gainés d'extra-terrestres aliens que portent ses cinq danseurs. Or, cet arrêt sur image patrimoniale ne l'empêche aucunement de produire le mouvement vivant d'une chorégraphie qui n'a surtout rien d'arrêté pour le corps et l'esprit.
Ce paradoxe est vraisemblablement fécond, qui n'est peut-être pas si éloigné des spéculations, combien plus "branchées" – et au demeurant formidablement captivantes – d'un Boris Charmatz lorsqu'il réactualise, ces temps ci, le Sans titre de Tino Sehgal. Au demeurant PH, comme simples initiales de Pierre Henry, fait-il tout à fait un titre ?
Gérard Mayen
Spectacle vu le mardi 11 février 2014 au Manège de Reims.
À voir :
Le 19 février à 20h30 à La Passerelle - Scène nationale de Saint-Brieuc.
Distribution
Chorégraphie Mié Coquempot Musique Pierre Henry Développement interaction temps réel Jean-Marie Boyer Dessin Frédéric Lormeau Lumières Françoise Michel Interprètes Julien Andujar, Jérôme Brabant, Vinciane Gombrowicz, Maud Pizon, Emeline Pubert Assistant à la chorégraphie Jérôme Andrieu
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