June Events : « Will » de La Ragione/Buldrini
Rage et raison se battent furieusement dans Will (Volonté) de - et avec (!) - Martina La Ragione et Valentina Buldrini, duo féminin italien offrant un cabaret d’images singulièrement troublantes. Seraient-elles la découverte de cette édition ?
Les deux femmes, qu’elles soient sœurs, amies ou facettes d’une même âme, évoluent dans un carré délimité par un tissu translucide. À tout instant, nous les voyons à travers son filtre, alors que son aspect cotonneux varie et amplifie les effets lumineux.
Cocon, grotte ou boîte à striptease? Espace concret ou mental? Cette matière subliminale enrobe, encadre, enjolive. Mais elle dissimule aussi. L’effet est troublant. Malgré la grande clarté formelle et plastique, on n’est jamais trop sûr de ce qu’on voit.
Hans Bellmer, Egon Schiele, Francis Bacon: Les trois références visuelles et plastiques dont se réclament La Ragione et Buldrini ne sont pas seulement d’une cohérence évidente, elles leur permettent aussi de déployer une panoplie de références, du style élisabéthain au minimalisme, du chiaroscuro au Bauhaus.
Des femmes ou des automates ? Quand elles sautent en fond de scène, interminablement, tournant le dos au public, leur endurance et leur précision sèment le doute. On a beau savoir, rien n’y fait. Bel effet de lumière en prime, qui donne l’impression qu’à chaque flexion les quatre mollets se gonflent à l’infini…
Quand les deux corps s’imbriquent et évoquent deux araignées, la construction est d’une complexité telle qu’on croit voir quatre personnes, au lieu de deux. Tout Will est ainsi, une invitation à explorer des formes fragiles ou monstrueuses, jouant avec notre regard.
Les jambes, encore et encore ! Toujours écartées, souvent de dos, en l’air ou en assise, en horizontale ou en verticale, puissantes comme un grand « V » de victoire, perdues comme une volonté de structurer un esprit retourné, pointues comme un défi lancé à l’état animal de l’être et à la volonté de le domestiquer.
On y reconnaît bien la « volonté » évoquée dans le titre, celle de saisir l’inavouable à l’endroit où il fait corps avec l’humain, où il est fragile ou puissant, intime ou débordant. Les paysages sonores de Gianmaria Gamberini déconstruisent l’univers ménager comme pour nous faire marcher dans des montagnes d’assiettes cassées.
Et puis, une « volonté » peut en cacher une autre. Will ne se limite pas à la boite noire tamisée. Le spectacle existe dans une version pour l’extérieur où La Ragione et Buldrini se lovent en pleine nature dans une sauvagerie angélique, ce qui éclaire encore davantage la douce noirceur de leurs tourments expressionnistes.
Thomas Hahn
12 juin 2014 - Théâtre de la Tempête, Festival June Events 2014
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