Jean Babilée s'est envolé
Jean Babilée est mort à 7 heures du matin, jeudi 30 janvier, à quatre jours de son 91e anniversaire. Entré lundi à l'hôpital Cochin, à Paris, pour une fracture du col de fémur, il y est décédé de complications pulmonaires, suite à la reprise fulgurante d'un cancer du poumon.
« Jean Babilée est parti , léger et élégant comme il l'a toujours été, ce jeudi 30 janvier 2014. » nous a écrit son épouse, Zapo Babilée, qui partageait sa vie depuis 1981.
Léger, élégant, sauvage, imprévisible, il avait tout des chats qu’il adorait. Ses sauts légendaires dont il retombait dans un silence parfait, sa musculature fine et précise, mais aussi l’indépendance, et sa capacité inouïe à ralentir le mouvement à l’extrême ou à l’accélérer vertigineusement. Comme eux, il envisageait le mouvement avant de le faire et du coup l’exécutait sans coup férir, dans une fulgurance du geste et une exactitude sans faille.
Il était d’une beauté rare, qui tenait tout autant à un physique exceptionnel qu’à une intériorité lumineuse et une intelligence acérée.
Jean Babilée, né Jean Gutman (il prendra le nom de sa mère, Germaine Babilée pour la scène), est né le 3 février 1923 à Paris. Il entre en 1935 à l’école de danse de l’Opéra de Paris, après avoir vu Les Sylphides par les Ballets Russes de Monte-Carlo au théâtre des Champs-Èlysées. Comme le père de Roland Petit, celui de Jean Babilée conditionnera son autorisation à devenir danseur à la réussite de l’examen d’entrée à l’école de l’Opéra de Paris « la plus sérieuse. Au bout d’un an tu passeras ton examen. Si les professeurs pensent que tu es doué et que tu le désires, tu continues. Si on nous dit que tu n’es pas doué, quand bien même tu aurais de décidé de continuer, tu t’arrêtes. » Bien entendu, il fut classé premier à l’examen. Il est formé par Ricaux à l’Opéra, puis par Victor Gsovsky, et parfois Rousanne, au studio Wacker, ainsi que par Boris Kniaseff, avec lequel il entretient des rapports plutôt houleux et Volinine.
Mais la guerre éclate, il quitte Paris, en compagnie de Roland Petit. Entre au Ballets de Cannes, dirigés par Marika Besobrasova. Mais en 1942, la zone libre est occupée, les ballets sont dissous. Babilée remonte à Paris et passe une audition à l’Opéra. Lifar l’engage. Comme Babilée est juif, il se cache chez le père de Roland Petit. Mais en 1944, il entre rejoint le maquis en Touraine et entre dans la Résistance. Très bon tireur, il participe à des opérations-commandos.
Lorsqu'il revient à Paris en 1945, il a 22 ans et retourne à la barre. Il crée presque immédiatement Jeux de Cartes avec Jeanine Charrat, et dans la foulée, le Jeune Homme et la Mort, avec Nathalie Philippart (qu’il épousera et dont il aura une fille Isabelle) chef-d'œuvre de Roland Petit et Jean Cocteau qui le consacre à jamais comme un danseur de légende, jamais égalé dans ce rôle qu’il dansera plus de deux cents fois entre 1946 et 1968.
Il retourne à l’Opéra en tant que danseur étoile, en 1952… et en part en 1953 : « j’y étais vraiment malheureux, je me sentais englué dans la médiocrité et mon contrat restait à courir sur des mois . » Heureusement pour lui, Lifar le laisse partir avec même un certain empressement.
Il se lance dans une carrière internationale, qui passe par la Scala de Milan où il rencontre Visconti et Massine, pour Mario et le Magicien. Décide depuis de ne plus jamais se maquiller sur scène. Il fonde sa propre troupe en 1956, fait du cinéma, tournant sous la direction de Georges Franju ou Jacques Rivette, mais aussi du théâtre, avec Raymond Rouleau et Jean Genet ou Peter Brook, entre autres. Il dirige un temps le Ballet du Rhin entre 1972 et 1973.
Entre ses contrats, il parcourt le monde, de préférence en moto. S’attarde dans certains pays, comme en Inde, trouve sa propre philosophie.
En 1979, il monte, presque dans un pari, le ballet Life chorégraphié par Maurice Béjart avec Maria Grazia Gallante, qui devient un succès mondial. Il le tournera jusqu’en 1985, avec plusieurs danseuses, dont Elisabeth Platel à l’Opéra de Paris.
Il s’intéresse aussi à la création contemporaine. Outre des pièces créées par lui-même, telles Camera Oscura, (pour Catherine Imbert) il danse dans L et eux la nuit de François Verret (avec Rosella Hightower) et sa dernière appararition sur scène restera celle dans Il n'y a plus de firmament, mis en scène par Josef Nadj (en 2003).
« Je n’ai pas de nostalgie et j’accepte le temps qui passe, c’est normal et même rassurant de savoir que tout se termine un jour. » disait Jean Babilée dans La Croix, 26 mai 2010.
Ses obsèques auront lieu le 4 février de 14h30 à 17h30 salle de la Coupole au crématorium du cimetière du père Lachaise
Agnès Izrine
Les citations sont tirée de Jean Babilée ou la danse buissonière de Sarah Clair (la sœur de Jean Babilée) aux éditions : Van Dieren Editeur
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