Hooman Sharifi à Montpellier Danse
Hooman Sharifi : Tout ordre perd finalement de sa terreur
Le bruit de métal de frappes sèches, fortes, insistantes, sur le rythme reconnaissable entre tous du rite de l’Ashura, un rite Chiite durant lequel des centaines de personnes se rappent avec des chaînes ou leurs propres mains, fait démarrer dans le noir le plus épais ce spectacle. L’Ashura commémore la mort de l’Imam Hussein, tué par les Sunnites au VIIe siècle. C’est une sorte de fête de deuil, « l’un de mes souvenirs d’enfance les plus forts » raconte le chorégraphe parti seul d’Iran en 1974, à l’âge de 14 ans, pour s’établir en Norvège où il vit toujours.
Et Tout ordre perd finalement de sa terreur est imprégné de cette tonalité sombre et un peu archaïque qui relie entre elles ces civilisation de la méditerranée antique. Au cœur de ce projet, on trouve d’ailleurs la notion de sacrifice « au nom du collectif » et l’idée de l’amour telle qu’elle est conçue dans le Banquet de Platon soit la perte de sa moitié idéale et sa quête impossible.
La danse qui s’y déploie est quasiment métaphysique, avec ces corps qui se plient, et qui, comme dans la caverne platonicienne, montrent l’ombre du coup porté plutôt que la frappe elle-même. Mais dans cette atténuation, c’est tout l’impact émotionnel et la force souterraine qui marque soudain la chorégraphie. Comme toute tragédie.
Un masque d’or, un tissu et quelques accessoires mystérieux du même éclat, irradient la pièce laissant songer à quelque ancienne culture, tout comme les pierres qui semblent là pour conjurer les dieux ou signaler d’anciens tumulus, tandis que le tanbûr iranien d’Arash Moradi et les percussions sourdes d’Habib Meftah Boushehri ponctuent cette pièce comme chiffrée par une mémoire engloutie. Car au fond, c’est bien un inconscient des rites mortuaires qui s’engouffre dans cette pièce, convoquant l’absence et la perte. Et c’est par ce biais que l’on croise l’amour, à travers ces gestes qui s’esquissent pour toucher l’autre, le frôler, comme pour le rappeler à soi, le retenir, le retrouver peut-être.
Les danseurs de la compagnie qui mêle indifféremment norvégiens et iraniens contribuent à cette universalité des signifiants et des rites, chacun d’entre eux apportant sa touche et l’affirmation de son individualité. Qu’il s’agisse d’Ali Moini, dont on a pu voir la danse dangereuse et jusqu’au-boutiste dans My paradoxical knives dans l’édition 2011 de Montpellier Danse, ou de Rikke Baewert, Ida Gudbrandsen, Loan Hoa et Matthew William Smith qui apportent à l’ensemble un peu de leur culture septentrionale.
Agnès Izrine
Montpellier Danse - Studio Bagouet 23 juin 2014
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