« Quintette » de Jann Gallois
Cinq interprètes entre disputes et évasion : Quintette de Jann Gallois est faite de transitions surprenantes. Créée en 2017 à l'Atelier de Paris, la pièce, programmée par La Manufacture, CDCN de Nouvelle-Aquitaine, sera à voir ou revoir le 1er avril prochain à L'Entrepôt-Le Haillan (Bordeaux).
Noir sur blanc : Les couleurs de la calligraphie et donc celles des mots ou des notes de musique, couchés sur papier. Cinq danseurs, tout de noir vêtus, dans un espace immaculé, laissent leur empreinte telle une peinture vivante à l’encre de Chine.
Quintette a été écrit et se regarde « noir sur blanc », et n’a sans doute pas été créé pour rien dans la salle du CDCN Atelier de Paris, où l’on passe par un foyer aux murs blancs, caressés par les calligraphies de Carolyn Carlson.
Inspirée du « phasing » de Steve Reich, Quintette développe un lien avec la transe, bel et bien présente en sourdine dans la démarche du père de la musique répétitive (lire notre interview). La démarche rigoureuse et très mathématique du phasing n’est donc pas en contradiction fondamentale avec la traversée du miroir. Il existe quelque part des couloirs secrets qui permettent de passer de l’Est à l’Ouest, comme jadis les tunnels diplomatiques sous le mur de Berlin.
Transcendance et répétition
Quintette parle de musique, par voie (entendez: voix) métaphorique. Car les danseurs y prennent la parole. L’approche est donc très différente de celle d’Anne Teresa de Keersmaeker dans A Love Supreme, où chacun des quatre danseurs représente un instrument du quatuor de John Coltrane.
Galerie photo © Laurent Philippe
Le running gag de Quintette : Jann Gallois envoie ses danseurs dans un état de transcendance corps-esprit, pour les révoquer aussitôt, et ce de manière répétée. Le va-et-vient est le sujet même de la pièce, autant que les relations entre les membres de ce quintet chorégraphique. Les mots fusent, chaque fois que le groupe reprend ses esprits, esprits qui, reprise par reprise, se font de plus en plus belliqueux.
Dedans-dehors : Quintette montre les danseurs au travail, glissant d’un état « en répétition » vers un état « en scène ». L’acte scénique et chorégraphique devient son propre sujet, mais par le paradoxe de la distanciation, l’évasion s’affirme davantage.
Engagement double
Aux danseurs, cette schizophrénie permanente demande un engagement double, à la fois physique et mental. La précision du geste s’accompagne d’un registre très théâtral. Vifs et apparemment spontanés, les danseurs naviguent en permanence entre un état de contrôle et le lâcher-prise, toujours sur le fil du rasoir, d’autant plus que la partition chorégraphique inclut des basculements soudains, du ralenti à l’accéléré.
Mais un quintette est aussi un ensemble d’humains qui connaît un fonctionnement solidaire, au-delà des disputes. Quelqu’un s’égare? On le ramène dans le giron du groupe. Les relations humaines sont l’un des aspects qui continuent de lier l’écriture de Jann Gallois aux danses urbaines, alors qu’elle développe un style de plus en plus personnel, où certains échos de la breakdance continuent de résonner.
Mais surtout, Gallois sait placer son public devant l’inattendu. Personne ne saura dire à quoi ressemblera sa prochaine pièce, si elle passera par l’une des portes ouvertes par les surprises de Quintette ou si elle partira dans une nouvelle direction, radicalement différente. Les mathématiques, dont Gallois est une grande amie, libèrent l’esprit, dit-on. Elle devrait donc continuer à inventer avec l’originalité qu’on lui connaît, depuis son premier solo P=mg.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 2 décembre 2017, CDCN Atelier de Paris
Le 1er avril 2022 : Manufacture, CDCN de Nouvelle-Aquitaine / L'Entrepôt-Le Haillan
Chorégraphie : Jann Gallois
Regard extérieur : Frédéric Le Van
Interprétation : Maria Fonseca, Jann Gallois, Erik Lobelius, Amaury Réot et Aure Wachter
Création musicale : Alexandre Bouvier et Grégoire Simon
Création lumière : Cyril Mulon
Création costumes : Marie-Cécile Viault
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