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Yvann Alexandre et Doria Belanger : « Une Île de danse »

Créée par Yvann Alexandre et Doria Belanger cette oeuvre de danse sous forme de film est un voyage poétique et singulier qui marque 30 ans de création et de rencontres. 

Il n'est guère fréquent, à regarder une création chorégraphique, d'en admirer précisément le travail du directeur de la photographie… Mais force est d'admettre que Léopold Belanger réussit pour Une Île de danse une performance remarquable –  les textures saisies de très près, lentilles d'eau, cailloux de schiste noir, vieille branche tordue, mais aussi les vastes horizons de dunes et de mer, les moirures d'eaux dorées et des ciels remarquables que moutonnent d'improbables tempêtes – l'image qu’elle soit d'environnement naturel ou urbain nourrit le propos avec une variété et une richesse somptueuses. 

Le lecteur attentif a déjà remarqué que toutes ces notations s'appliquent mieux à un film qu'à une création chorégraphique. Certes, mais il y a là tant de danse et la structure ressemble si peu à un film. Chacun de ces paysages – au sens pictural du terme – laisse sourdre un moment de rencontre chorégraphique. Quelqu'un qui est là, dans le cadre magnifié du paysage, se met en danse à la rencontre d’Yvann Alexandre qui entre dans le champ. Puis le paysage change pour accueillir une nouvelle rencontre, comme une scène pour un spectacle rythmé par les entrées et les sorties.

Yvann Alexandre et Doria Belanger, tous deux chorégraphes et réalisateurs, on fait œuvre de danse, dans la structure et dans le propos et pourtant ce qui se donne à voir est un film et Léopold Belanger, directeur de la photographie, a réussi un tour de force. Autant de détours pour poser, en creux, la question de la nature de cet objet créatif très singulier qu'Yvann Alexandre a voulu pour marquer les 30 ans de sa compagnie et qui, s'il emprunte la forme du film, est néanmoins autre chose.

Pour les spectateurs, si l'on s'en tient au dispositif, Une Île de danse est assurément un film. Visible en salle, avec, certes depuis peu, un vrai producteur-distributeur. Cela se voit après s'être assis dans un fauteuil, devant un grand écran et on a le droit d'apporter du pop-corn. Donc c'est un film. D'autant qu’il a donné lieu à trois mois de tournage dans trois pays différents (France - Québec – Tunisie), réuni 36 interprètes (12 chorégraphes, 24 danseurs) sur 19 plateaux de tournages, une – remarquable –  et a engendré une musique originale composée par trois auteurs (Jérémie Morizeau, Charles-Baptiste, Alexandre Chatelard) après le tournage et post-synchronisée… Bref, tout d'un film. 

Un détail cependant : 57 minutes. Un moyen métrage mais la durée canonique d'une création chorégraphique Jeune Danse Française, mouvement esthétique auquel appartient pleinement Yvann Alexandre. Un peu moins Doria Belanger quoique formée par Coline (France) et la EDge Company au sein de la London Contemporary Dance School (UK) et interprète pour Les ballets C de la B, Emanuel Gat, Edmond Russo et Shlomi Tuizer avant de devenir, en 2012, l'une des figures fondatrices de la compagnie 2 minimum de Mélanie Perrier. Les deux concepteurs du projet relèvent donc clairement du monde de la danse. Certes Doria Belanger développe un travail personnel sous forme d'installations où l'image tient une place prépondérante (ainsi son projet Joule-2022), mais la danse aussi. Donc deux chorégraphes dont l'une y mêle l'image.

Galerie photo © Léopold Belanger

Autre détail : le mode de réalisation. Chaque séquence a été répétée en studio où les interprètes, certains historiques de la compagnie, d'autres tout récents, d'autres enfin, étrangers à ce parcours de trente ans, se confrontaient à ce répertoire, le revisitaient. 

« Aucun interprète n'a dansé quelque chose qu'il avait dansé auparavant » précise Yvann Alexandre. Cela se passait en résidence, à Belfort au CCN avant qu'Amala Dianor ne vienne tisser les entrelacs de ses bras sur un fond de ciel plombé dans la forteresse de la ville. Au Studio 215 de Montréal avant de finir sur les toits, comme à Tunis ou Selim Ben Safia regarde sa ville comme on la rêve. On peut s'amuser à reconnaître ces personnalités, Loïc Touzé, comme un vieux sage, Ambra Senatore dans une séquence assez drôlatiquement décaléee, Rita Cioffi magnétique. On y voit aussi Carol Prieur, l'exceptionnelle interprète historique de Marie Chouinard et Brigitte Asselineau. Certains sont là parce que liés à des épisodes de la vie d'Yvann, d'autre parce que rencontrés durant les partenariats tunisiens ou québécois ; certains lieux sont codés – Amélie Grand (la fondatrice des Hivernales) adorait la plage de Sauveterre où danse Louis Barreau –  le nom du film évoque un festival (que programmait Anne-Marie Raynaud)… C'est une façon de voir cette œuvre que de jouer avec ces fils qui s'échappent toujours un peu. Il en est une autre : se laisser porter.

Une façon de regarder et travailler qui appartient à l'univers chorégraphique plutôt qu'au film, de même que le budget, beaucoup plus modeste que pour un tournage : 130000€ qu'ont apportés l’ONDA, l'Etat (DGCA et DRAC), les CCN co-producteurs, les partenaires étrangers de la compagnie, les tutelles locales. Le CNC n'est pas là, il n'a pas vraiment vu un film… Tous les interprètes sont rémunérés de la même façon, pour les services de répétitions, un cachet pour le tournage, les droits voisins.

Alors peut-être peut-on regarder Une Île de danse comme une manière d'installation différée, un spectacle chorégraphique in-situ mais hors lieux et temps, où simplement une superbe rêverie qui prendrait la forme d'un spectacle imaginaire. Le travail d'image toujours très proche des corps et le concept en séquences brèves enchaînées ne permettent pas vraiment de reconnaître les 22 pièces du répertoire d'Yvann Alexandre qui sont reprises et pourtant la texture du mouvement, le ton, la précision, ce qu'il faut bien appeler un style, transpire dans chaque image. Comme si cette danse avait inspiré chaque paysage, que Léopold Belanger l'avait mis en image et que Doria Belanger avait organisé ces visions. Dans quelque chose qui tient de l'œuvre plastique nourrie de danse. Pour un anniversaire, c'est bien un cadeau vraiment original !

Philippe  Verrièle 

Premières

13 février 2024 : festival waterproof, le triangle, cité de la danse, Rennes
15 février 2024 :  mille plateaux centre chorégraphique national de la rochelle
2 mars 2024 : collection lambert - les hivernales cdcn Avignon
22 février 2024 : Viadanse - centre chorégraphique national de bourgogne franche-comté Belfort
27 mars 2024 : cinéma les 400 coups Angers - festival conversations cndc en partenariat avec le thv à saint-barthélemy-d’anjou
8 juin 2024 : CCNT - centre chorégraphique national de tours : dans le cadre du festival tours d’horizons -Tours
janvier 2025 : Festival trajectoires Nantes
juin 2025 : carthage dance Tunis

 

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