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Quelle(s) danse(s) pour le monde après le confinement - vol. 5

L’injonction « Restez chez vous » a fait surgir un nouveau type de vidéodanse. Où excellent quelques valeurs sûres comme Carolyn Carlson et Jean Christophe Maillot.

Pendant le confinement, c’était une véritable opération Glasnost. Depuis leurs cuisines, leurs chambres, leurs jardins ou leurs terrasses, leurs salons et leurs balcons, en pyjama ou en t-shirt, le personnel dansant des plus grandes compagnies s’est adressé à nous comme on ne l’avait jamais vu. Le jour où on les retrouvera sur scène, on ne les verra plus tout à fait de la même façon car en quelques semaines, ils sont devenus nos voisins virtuels. Le « Restez chez vous avec... » s’est doublé d’un « venez chez nous », par caméra interposée, avec beaucoup de clins d’œils. Plus loin, plus proches…

Alors, comment vivent les danseurs? Par les signes intérieurs et extérieurs de richesse, l’architecture d’une ville, le style de la décoration, la présence des partenaires de vie et des enfants se dessine une sociologie chorégraphique, troupe par troupe, à partir des réalités individuelles, de l’Opéra de Paris au Staatsoper de Vienne.

On avait soudainement l’impression de plonger dans l’âme de telle ou telle troupe ou communauté d’esprit, d’obédience classique, contemporaine ou hip hop. Et on leur dit un grand merci d’avoir partagé un chouia de leur quotidien avec nous, de manière aussi sympathique.

Dé/re/re-dé/confinement et ainsi de suite ?

Aujourd’hui, les danseurs sont en train de quitter leur home office. Alors, ces écrans vidéo où fleurissent des mosaïques de danse confinée appartiennent-ils déjà au passé ? Ou bien y trouve-t-on les prémices d’une nouvelle écriture, d’un nouveau genre chorégraphique ? Dans beaucoup de vidéos composées sur le mode « on danse à la maison », le home office chorégraphique documente surtout une tentative de faire contre mauvaise fortune bon cœur, et une certaine volonté de résister en nous lançant: Nous sommes encore là, seuls mais ensemble.
En nous envoyant de jolies cartes postales en mode ZOOM ou Google Meet, où l’écran est divisé en petits espaces identiques, les danseurs affirment en vérité le contraire: leur home office est une impasse artistique. Nous sommes sages, nous disent-ils, non sans humour, comme dans le très appréciable court-métrage de Cédric Klapish, fort de son incroyable sens du détail et du rythme, avec les danseurs de l’Opéra National de Paris

Mais  le passage à l’écran en partage, grâce à une application, comme pour une réunion d’entreprise, n’est pas en soi un manifeste artistique.

Wake Up ! réveille la danse confinée

Il faut concéder à une forme et un mode de création né en état de bouleversement et de confinement de ne pas briller dès le départ. Mais si cette forme de corps de ballet, virtuel et sans tutu ni chichi, pourrait avoir un avenir, c’est grâce à une petite poignée de chorégraphes qui ont réussi à penser ce format nouveau au-delà de la condition momentanée et d’un simple signe de vie adressée au public. Nous avons déjà signalé le bel exploit entre danse, poésie et vidéo de Carloyn Carlson et sa compagnie. On trouve là une cohérence où le format du damier a inspiré une œuvre, une dramaturgie, une pensée, au lieu de se contenter d’une juxtaposition d’images, sans ambition de progression.

Avec Wake up !, Jean-Christophe Maillot signe, en compagnie des danseurs des ballets de Monte Carlo, une création vidéo où il n’est pas question du confinement, mais du besoin de danser et de se retrouver, et donc de notre humanité, à travers cette situation particulière. Ce n’est plus une rustine qu’on colle sur le temps perdu, mais un coup de pédale pour avancer vers un nouvel espace d’écriture chorégraphique, avec une dramaturgie, un dénouement, l’expression d’une volonté et un propos qui monte en puissance. Autrement dit, Wake Up ! est une création chorégraphique pour l’écran. Et un manifeste !

« Réduire l’espace d’un danseur, c’est le priver de son corps »

Un manifeste plein d’énergie et d’humour, avec une dramaturgie simple mais efficace où on passe du réveil au vertige et puis à l’extase, et finalement à la scène, dans expression d’une volonté et d’une révolte: « Un appartement ne sera jamais une scène, un mur ne sera jamais un partenaire de danse », écrit Maillot à la fin du film. Le directeur des Ballets de Monte Carlo le revendique haut et fort, et les maladresses (bien étudiées et virtuoses) des danseurs le disent avec franchise et détermination quand, à chaque coin de séjour, de cuisine ou de chambre ils affrontent un mur, une porte, une lampe ou autre objet en embuscade. Même pas la peine de se jeter à corps perdu en direction de la mer : il y a un garde-corps…

Mais progressivement, l’autodérision cède à la révolte et à l’urgence de s’évader. Une vraie fièvre s’empare de chacun, un ras-le-bol, une puissante envie de liberté comme s’il y avait un mouvement collectif de tous les quartiers qui converge dans le spectacle. La tarentelle d'Antonio Castrignanò & Taranta Sounds s’empare des danseurs, les emporte et lance un appel irrésistible à se retrouver, dans la rue, dans la fête. Ils se ruent dans la rue, pour finalement se retrouver sur scène, en dansant  Core Meu, étonnante pièce de Jean-Christophe Maillot qui met l’accent sur le partage, la fête, la communauté [notre critique]. C’est tout le paradoxe de cette vidéo très inspirée, qui exprime la révolte contre la condition du confinement, mais sait en tirer profit pour une bouffée d’air créatrice, où la présence de la tarentelle met révèle l’absence des camarades. L’irrésistible tourbillon de cette musique de fête et d’expiation chasse les mauvais esprits du confinement. Mais - ultime pied de nez - alors que la fête bat son plein et que la transe n’est pas loin, l’extrait qui dénoue la terrible histoire de la danse réprimée est choisi en accord avec les règles en vigueur concernant la distanciation physique !

Thomas Hahn

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