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Sun-A Lee : « Cover Pieces”

Le triptyque de Sun-A Lee dont la troisième partie est une création pour le festival ouvrait Le Temps d’Aimer à Biarritz.

Au festival Le Temps d’Aimer la Danse de Biarritz, Sun-A Lee, présentait sa trilogie sous le titre de Cover Pieces. Il s’agit d’un premier solo, Un Cover, créé en 2020 au festival Sidance, un trio, Dis-Cover (2022), et enfin un quatuor, Re Cover qui est une création pour ce festival, coproduit par le CCN Malandain Ballet Biarritz. Pour la chorégraphe coréenne, Un Cover interroge nos gestes et rites de séduction, le besoin d’affection et la soif de pouvoir ; Dis Cover questionne les traumatismes refoulés en écho aux recherches de Carl Gustav Jung ; et Re Cover est une sorte de célébration chamanique de la guérison, en se mettant en accord avec la nature et l’environnement. Mais de fait, la totalité de ce triptyque, nous a semblé être à la fois une ode à la nature, et un appel puissant à soigner la terre et un environnement menacés.

Tout commence donc par un solo très impressionnant, dansé par Sun-A Lee. Coiffée d’un masque de bouc, avec ses pieds hyper cambrés, et ses bras qui berceraient le vent, elle déploie une gestuelle tout en lenteurs, calée sur la respiration, où chaque détail concourt à la justesse de la position et à son expressivité. Ses mouvements qui se tordent et s’arrondissent, tandis que l’appui des jambes, comme leur force dirigée vers le sol, évoquent immanquablement la danse de la « Sorcière » de Mary Wigman (1914), mais aussi une animalité étrange et proche, comme issue d’un lointain intérieur. Le travail sur la vitesse et la désarticulation couplé à des arrêts saisissants finit par induire une forme de narration et de personnification attachante, que le masque est pourtant censé empêcher, tout en atténuant toute distinction de genre… Et plutôt que nous demander qui est ce jeune bouc en costard qui cherche à nous impressionner par ses poses viriles, nous sommes touchés par la fragilité de ce frêle bouquetin qui détale avec une respiration forte et sifflante comme ses vrais congénères ! Quand cette étonnante créature mi-humaine, mi-animale, se déshabille et ôte son masque, .elle le regarde, bouleversant face à face de soi et de l’autre en nous, et le pose comme on quitte l’enfance.

L’enfance et ses traumas, c’est justement le sujet de Dis Cover, un trio interprété par Yun-kyung Hur, Jae-won Jung et Eun-kyoung Kim. Donc deux femmes et un homme, que nous traduisons, sans doute à tort, comme un couple et leur fille (il faut dire que cette dernière, en short, débardeur et coiffée de nattes, ne pouvait que susciter ce genre de pensée). Chacun manie la glaise – ou l’argile – comme un fardeau, dans une gestuelle extrêmement lente, avec des micro-mouvements travaillés serrés, qui indiquent la maîtrise du vinyasa yoga qu’enseigne également Sun-A Lee.

Dis Cover de Sun-A Lee © Caroline De Otero

L’atmosphère est pesante, les individus perturbés – plombés dirait-on aujourd’hui, mais l’image est juste. La terre colle aux mains et aux corps, des voix déformés et un peu effrayantes hantent le plateau, et on a l’impression qu’il est question de survie. Bien sûr, nous pouvons suivre l’indication du programme et voir dans cette chorégraphie assez sombre, voire heurtée, où chacun écrase et malaxe la glaise, s’en enduit ou la déplace une façon de fouiller son inconscient et de se libérer de son poids. Une deuxième lecture est aussi possible, cette terre que l’on trifouille dans tous les sens n’est-elle pas aussi la nôtre ? Et ces gens qui cherchent à la retenir, qui semblent lutter à chaque moment avec elle, ne nous alertent-ils pas sur sa possible disparition ? N’était-ce pas ce que préfigurait cette nostalgie du bouc de Un Cover ? Bien sûr, c’est de l’ordre de l’indécidable, aucune pièce ne donnant lieu à un sens univoque.

Dans la troisième partie, Re Cover, il est question de guérison ou, comme le titre l’indique, de re-couvrer la santé… ou ses esprits – peut-être au double sens du terme. Car en effet, il existe comme une sorte d’histoire de fantômes ou de revenants dans cette dernière partie qui reprend des éléments des pièces précédentes pour les transformer en leur contraire, dans une sorte de rééquilibrage entre yin et yang. Et en effet, dans ce décor où la terre a été dévastée (c’est le même décor que dans la deuxième partie, mais il ne reste que les traces d’argile) Yun-Kyung Hur, ouvre ce Re Cover par un solo très intériorisé, où les bras qui ondulent dessinent une forme proche de ce symbole, sa façon de prendre le mouvement évoquant une danse traditionnelle coréenne, le salpuri.

Re Cover de Sun-A Lee © Thomas Hahn

Bientôt, le quatuor, intervient chacun dansant la même partition chorégraphique mais avec une interprétation très personnelle, très différente de l’une à l’autre des danseuses et danseur, car chacun représente un élément différent, à savoir l’Eau (Eun-Kyoung Kim), la Terre (Yun-Kyung Hur) , le Feu (Jae-won Jung) et l’Air ou le vent (Sun-A Lee). Se lançant dans des tours, comme une mise sur orbite au son de tambours profonds, la chorégraphie prend une tournure très cérémonielle, voire mystique. Et tandis que la gestuelle s’accélère, répétant les mêmes figures, comme pour sauver cette terre précédemment détruite, dans une sorte de rituel chamanique, nous percevons qu’il s’agit d’une régénération de la nature… Qui n’est autre au fond que le thème du Sacre du printemps !

Agnès Izrine

Le 6 septembre 2024, Théâtre du Colisée, Biarritz, dans le cadre du festival Le Temps d’Aimer.

Distribution

Chorégraphies Sun-A Lee 
Un Cover 
Interprétation  Sun-A Lee 
Costume Sun-A Lee 
Musique Hyun-hwa Cho, Nathan Davis 

Dis Cover 
Danse Eun-kyoung Kim, Yun-kyung Hur, Jae-won Jung 
Musique Hyun-hwa Cho 
Dramaturgie Thomas Hahn 
Lumières Erwann Collet 
Costumes Eun-kyoung Kim 

Re Cover 
Danse Eun-kyoung Kim, Yun-kyung Hur, Jae-won Jung, Sun-A Lee 
Musique Hyun-hwa Cho 
Dramaturgie Thomas Hahn 
Lumières Adrien Hosdez 
Costumes When You Smile (Eun-kyoung Kim)

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