Salim Mzé Hamadi Moissi : « Etre heureux malgré tout ! »
Repéré l’an passé à Suresnes Cités Danse avec sa pièce Soyons fous, le Comorien Salim Mzé Hamadi Moissi ouvre la 28eédition du festival avec sa nouvelle création, Massiwa. Entretien.
Danser Canal Historique : Quel a été votre parcours de danseur et chorégraphe ?
Salim Mzé Hamadi Moissi : J’ai 32 ans et je danse depuis l’âge de 14 ans. Progressivement, ce qui était quelque chose d’inné s’est transformé en véritable métier. A partir de 2009, j’ai commencé à être interprète pour diverses compagnies comme celles d’Arnaud Ndoumba au Gabon, d’Anthony Egea à Bordeaux (Rêvolution), ou encore dans le cadre du Festival mondial des Arts nègres à Dakar en 2010. J’ai aussi suivi plusieurs stages, dont une formation à l’Ecole des Sables de Germaine Acogny à Dakar. J’ai créé en 2014 ma compagnie Tché Za et je suis devenu chorégraphe professionnel parce que j’avais envie de dire des choses d’une façon originale. J’ai eu la chance que mon langage plaise au public.
DCH : Sur quelles bases gestuelles s’est construit votre style ?
Salim Mzé Hamadi Moissi : Je me définis d’abord comme un krumper. Le film Rize de David LaChapelle a été pour moi déterminant. Quand je l’ai vu en 2006, j’y ai tout de suite reconnu chez les danseurs la même énergie et la même pulsion de violence que celles qui sont en moi. J’avais aussi le sentiment de retrouver là une fusion de tous les styles : la dynamique de la danse africaine, la précision du classique, les mouvements du hip hop, l’audace du contemporain… J’ai ensuite incorporé au krump les pas de l’afrodance, véhiculés par les clips des artistes nigérians ou ghanéens, le tout sur des rythmes de chanteurs africains. En fait, tout peut krumper !
DCH : Dans Massiwa, vous avez aussi travaillé sur les danses traditionnelles comoriennes…
Salim Mzé Hamadi Moissi : Oui, en particulier sur le wadaha, une danse réservée aux femmes puisqu’elle tire son origine de leurs mouvements lorsqu’elles pilent le riz. Sans entrer dans le cliché, j’ai modernisé cette gestuelle et l’ai fait interpréter par des hommes, faute d’avoir trouvé des danseuses suffisamment formées lors de ma résidence de création aux Comores. Je me suis également inspiré du shigoma, une danse des guerriers qui se pratique avec des bâtons symbolisant les épées. Elle rappelle l’époque où les Comoriens devaient se défendre contre les razzias menées au sabre par les troupes de l’empire ottoman. Il y a enfin une évocation du biyaya, une danse de joie à l’approche de la célébration du mariage. A chaque fois, j’ai essayé de prendre dans ces matériaux tout ce qui était bon pour moi afin d’en faire ma création. Quant à la musique, hybride et électronique, elle reflète les influences qui ont traversé l’histoire des Comores : l’Orient, l’Afrique et l’Europe.
DCH : Comment avez-vous construit votre pièce ?
Salim Mzé Hamadi Moissi : Quatre thèmes se succèdent. Le premier incite à se réveiller, c’est à dire à réagir et protester. En effet, je suis choqué par le fait que, comme dans la culture comorienne la principale valeur est le respect, quoi qu’il arrive et même si l’on te piétine, tu dois garder le sourire. La deuxième partie se présente comme un rite de purification très hip hopisé où les corps, traversés par un souffle spirituel, se lâchent, crient et protestent. La troisième évoque l’influence aux Comores de la diaspora, via la mode notamment. Enfin, la pièce se termine sur un grand mariage, en référence à cette cérémonie grandiose et incontournable dans la vie de tout Comorien. Mais je tourne la fête en dérision car c’est pour chacun un investissement financier énorme, qui serait plus utile dans l’économie…
DCH : Vous portez donc sur votre pays un regard critique ?
Salim Mzé Hamadi Moissi : Oui, sur certains aspects. Mais je voulais en même temps que Massiwa (qui signifie ‘les îles’ en comorien) rende hommage à cette terre et célèbre ses beautés. Car ce pays est à la fois l’un des plus pauvres du monde et un endroit où l’on réussit malgré tout à être heureux. Tous les gens qui le découvrent lors de vacances, par exemple, n’ont qu’une envie, c’est de revenir. Il n’y a pas de criminalité, pas d’agression, ce qui est un paradoxe compte tenu de la situation. S’il y avait des équipements publics tels que des routes en bon état, des hôpitaux et un réseau électrique qui fonctionne, ce serait magnifique de vivre ici. Ceux qui en partent le font uniquement pour tenter d’avoir une vie économiquement meilleure.
DCH : C’est votre deuxième programmation à Suresnes Cités Danse. Qu’attendez-vous de cette nouvelle édition ?
Salim Mzé Hamadi Moissi : L’an dernier, quand j’ai été programmé, j’étais dans un rêve ! Pour tout hip hopeur, être invité au festival est un honneur. Lorsque dans le milieu, on parle entre nous des lieux qui soutiennent le hip hop, le nom de Suresnes Cités Danse vient toujours en avant. Soyons fous a reçu un très bon accueil au théâtre Jean Vilar et ça a tout déclenché par la suite : notre venue à l’Institut du monde arabe dans le cadre du Printemps de la danse arabe, les dates de tournée un peu partout… Qu’Olivier Meyer soit à nouveau revenu vers moi pour me proposer une création 2020 produite par le festival est formidable. Quand on vous donne ainsi votre chance, la seule façon de remercier est de se donner à fond. Ce que je fais !
Propos recueillis par Isabelle Calabre.
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