Montpellier Danse : « Stéréo » de Philippe Decouflé
En ouverture de festival, programmer Decouflé n'a rien de neutre. Ce sera festif, coloré, généreux, grand public. Et ce le fut.
Un peu complaisant quand même aussi, tant le Monsieur, pour être un très grand pro, se laisse aller volontiers à ses penchants faciles. D'autant plus regrettable que par les interstices du spectacle se laisse entrevoir le véritable sujet et peut-être la pièce à venir…
Et finalement, Philippe Decouflé a fait du Decouflé. Au départ du projet, vous alliez voir ce que vous alliez voir . Dans les premières ébauches de dossier, il était question « de travailler sur les éléments ; ici l’eau et le feu. Cela pourrait s’appeler Le nouveau monde, L’île, Le volcan, Je danse sur le volcan, ou Pierre ponce... » Il y avait la Réunion et ensuite « des corps, sexués, un homme et une femme, des corps échoués sur une petite île. L’homme (qui évoque l’image de Sean Connery), sort de sa torpeur et se lève. Il est beau et puissant. Pendant quelques instants, l’image évoque une publicité pour un déodorant. Il fait quelques pas sur la plage et découvre la femme, Ursula Andress, inanimée ». La scène devait être reprise, mais la femme jouant le rôle de l'homme, puis de variations en variations, interroger une danse organique et non plus sexuée. Formidable projet…
Galerie photo © Laurent Philippe
Un peu plus tard, le projet a déjà beaucoup bougé, et le chorégraphe évoque le rock, la musique de sa jeunesse, « la rencontre entre la danse et autre chose ». Il reste quelque chose du retour sans fin du même (comprendre Le Jour de la Marmotte* ) et du fantasme de manager un groupe de rock, genre Colonel Parker pour Elvis. Il est beaucoup question de Drastic Classicism (1981) de Karol Armitage.
Au final, de la punk ballerina, ne demeure qu'un petit numéro où face à Eléa Ha Minh Tay, en catsuit vinyl noir et plateform-boots à talons aiguille vertigineux, se déplie Violette Wanty portant une tenue identique mais rouge et sur pointes de même nuance. Beau, bien fait, mais court ! Car Decouflé a fait comme d'habitude, une suite de numéros brillants, formidablement réalisés, sans trop se préoccuper de dramaturgie (euphémisme) et sous forme d'un concert mis en scène… C'est bien, beau mais certainement en dessous de ce que l'on pouvait espérer. Que l'on s'entende, c'est formidablement réalisé, énergisant et sympathique, mais, comme l'on dit d'un vin séduisant et un peu élémentaire : court en bouche…
Galerie photo © Laurent Philippe
S’enchaînent les chansons, comme des numéros de revue (ou l'inverse) grâce à l'ingéniosité d'un décor mobile brillant. L'abattage des cinq interprètes, aussi dissemblables que complémentaires, aide à traverser les ambiances sans lasser. La danse use de quelques « trucs virtuoses » (sauts particulièrement périlleux, contorsions et portés risqués) qui témoignent du professionnalisme des intervenants, et l’humour, parfois un peu potache, n’est pas absent. Après tout, le public applaudit à tout rompre…
Pourtant un petit songe, une nostalgie et un regret s'instillent. Dès l'entame, une scène. Le jeune Baptiste Allaert, figure lunaire et zébulonesque, débarque à jardin, totalement nu, portant une pancarte stratégiquement disposée et annonçant « bonjour »… Il va l'effeuiller le temps d'annoncer le générique, et pour les moins jeunes d'entre nous de se souvenir d'un certain Christophe Salengro qui, dans une pub en 1985, annonçait que les dalles auto-adhésives tenaient toute seules, « et hop ! ». Approche lunaire et dérision assumée, ce Baptiste est donc le descendant d'une figure de l'univers caché de la Decoufl’…
Galerie photo © Laurent Philippe
Et Decouflé lui-même, avoue en répondant au journaliste du Midi Libre quelque jours avant la première « Oui, il y a aussi toute une équipe technique et artistique derrière. Je retrouve Jean Rabasse qui a fait le décor, et travaille avec moi depuis les Jeux Olympiques d'Albertville en 1992. Il y a aussi Philippe Guillotel, aux costumes, avec qui je bosse depuis... avant les JO, puisqu'on était déjà ensemble sur Codex. Bref, on a remonté aussi ce trio ! ». Et puis il y a les musiciens. Ne pas se tromper : Arthur Satàn, du groupe JS Satàn, bon guitariste et son batteur, Romain Boutin, font mieux que le job, mais il faudrait un Webo (Bowie) comme pour le spectacle de 2015 à la Philharmonie de Paris pour être au niveau des pointures ci-avant présentées. Les musiciens font mieux qu'honnêtement le travail mais sans transcender le bouzin ! Sauf qu'il y a la bassiste. Les plus rhumatisants des rhumatisants, entre deux prises de curcuma, se diront peut-être (avant Alzheimer) que cette superbe liane brune au chic piquant ressemble à quelqu'un. Dans les années 1980, cette danseuse incroyable, soeur d'une chorégraphe** ... Or, cette bassiste brune et piquante qui brûle littéralement le plateau de sa présence, s'appelle Louise Decouflé et papa est manifestement gaga du talent d'icelle…
Alors, une équipe technique de génie mais en forme de reconstitution de ligue dissoute, le souvenir d'un plus que camarade (la mort de Salengro a profondément affecté le chorégraphe), les mânes d’amours passées réincarnées dans le talent d'une fille… Philippe Decouflé a rassemblé les éléments de son Rockcollection à la Laurent Voulzy, avec toute la nostalgie et la beauté du temps qui a passé. Il lui reste à en faire le spectacle. Alors, comme à la première, chez Decouflé, rien n'est jamais fini, espérons le Stéréo.2, il a tous les ingrédients du succès.
Philippe Verrièle
Vu le 20 juin Théâtre de l'Agora, dans le cadre du festival Montpellier Danse.
* Un jour sans fin ou Le jour de la marmotte (titre québécois) est un film de 1993
** Michèle Prélonge, soeur de Régine Chopinot
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