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LeTemps d’Aimer la danse passionnément à Biarritz !

A la fois éclectique et très ciblée, la 34e édition du festival biarrot essaime à travers le Pays Basque, du 4 au 16 septembre 2024.

Biarritz, spot de surf le plus branché de l'Hexagone, n’a pas eu droit aux honneurs olympiques. Il est vrai que la mer peut y rester calme plusieurs jours de suite, alors que la danse, elle, fait des vagues jour par jour. C’est Le Temps d’aimer la danse, et avec toute la diversité des genres alors représentés sur la côte basque, le fait de continuer à proclamer Le Temps d’aimer « la danse » au lieu de « …les danses » affiche un point de vue qui souligne volontairement la dimension commune et partagée de l’art chorégraphique.

Voici donc la 34e édition d’un festival qui a fait découvrir et aimer la danse à un public qui s’est constitué petit à petit avec Le Temps d’aimer. Et c’est en soi un succès énorme pour cette décentralisation culturelle parfois remise en question. Personne n’est parfait, mais imaginons un moment la Côte basque sans son CCN qui organise Le Temps d’aimer, sans sa Gare du Midi dédiée à l’art chorégraphique ! Depuis longtemps, le Malandain Ballet Biarritz et Le Temps d’aimer la danse font tout simplement partie de l’identité culturelle du Pays Basque. Ce qui pose la question de l’après-Malandain à la direction du CCN et du festival, changement d’ère moult fois annoncé et donc probable mais en même temps incertain.

Les CCN en fête 

En attendant d’en savoir plus, la nouvelle édition du Temps d’aimer s’inscrit dans une trajectoire qui, dans ses orientations aussi claires qu’éclectiques, rappelle la fine main de Didier Deschamps à la direction de Chaillot comme aujourd’hui au festival de Cannes. Et Malandain sait saisir les belles occasions, tel le 40e anniversaire de la création des Centres chorégraphiques nationaux. Aussi on y retrouvera Thomas Lebrun (CCN de Tours) avec son ode à Marguerite Duras, L’Envahissement de l’être (danser avec Duras) qui est, selon notre confrère Philippe Verrielle, « un objet scénique qui défie les catégories » [lire sa critique].

Le CCN Ballet de Marseille sous la direction de (La) Horde vient avec son programme mixte au titre pragmatique de Childs, Carvalho, Lasseindra, Doherty [notre critique ], le CCN de Rennes avec Queen Blood  d’Ousmane Sy, le CCN de Nantes avec Ambra Senatore et In Comune  [notre critique] ainsi que le CCN de Grenoble avec Etude 4, fandango et autres cadences   d’Aina Alegre qui interprète ce duo aux côtés de Yannick Hugron. Ce dernier n’est pas seulement le codirecteur du CCN Grenoble aux côtés d’Alegre, mais aussi un ancien danseur traditionnel basque, ce qui a été le point de départ de cette exploration de la culture populaire et de la mémoire du territoire euskadi. Comment ne pas les recevoir dans ce festival ? Et Thierry Malandain, dans sa générosité, n’a même pas prévu, au sein de cette farandole, une place pour un spectacle de sa propre compagnie !

Les basques aussi !

Le Temps d’aimer, c’est bien sûr un haut lieu de la danse basque, ce qui fait partie de son unicité, même si on souhaiterait, aux compagnies entretenant avec la tradition euskadi des relations diverses, qu’elles puissent être vues plus souvent dans d’autres régions. On dansera le mutxiko sur le parvis du casino, et on verra, à Biarritz et autour, de grandes références de la création se référant à la tradition basque : le Collectif Bilaka avec iLaUNA  (qui évoque la transe carnavalesque sous forme de « lune éphémère » accompagnée de cornes et de percussions), Dantzaz (on y est plutôt du côté de la « danse au Pays Basque ») et Kukai Dantza avec Euskorleans, spectacle de rue combinant culture basque et dixie band à la Louisiane.

Et pourquoi pas John Cage ? Le pianiste vedette Bertrand Chamayou, né à Toulouse et grand amoureux du Pays Basque, dirige le Festival Ravel qui se termine le 4 septembre à Saint-Jean-de-Luz, fief de ce festival, et passe le flambeau culturel au Temps d’aimer. Pour ce faire, rien de mieux que Cage², un duo danse-Piano avec Elodie Sicard comme chorégraphe interprète et Chamayou en personne jouant quatre des fameux pianos préparés de John Cage, interprétant certains des pièces pionnières, composées entre 1946 et 1948, que Cage destina à la danse ! ON avait oublié ce détail, mais Chamayou et nous le rappellent avec force et finesse.

Quant à Martin Harriague, il est à sa manière un enfant du Pays Basque. Après tout, il est né à Biarritz. Et il était, il y a peu, artiste associé au Malandain Ballet, rôle dans lequel lui succède actuellement Jon Maya de Kukai Dantza, et donc chorégraphe de Euskorleans. Quant à Harriague, sa région d’origine le prête en quelque sorte à une autre, à savoir au Vaucluse où Harriague dirige aujourd’hui le Ballet de l’Opéra Grand Avignon qui s’associe à la compagnie La Parenthèse de Christophe Garcia pour un projet bien particulier. L’ancien interprète du Béjart Ballet Lausanne vient à Biarritz avec Les Nuits d’été, chorégraphié sur l’œuvre éponyme d’Hector Berlioz et déjà déclinée sous d’autres cieux [notre critique], pièce suave et très attendue sur les rivages d’Euskadi.

Deux ou trois créations 

Il faut être présent au début du festival pour attraper au vol les deux – ou peut-être trois – créations de cette édition. L’incertitude vient du rapport entre CHoPin  de Christine Hassid, créé au festival mais signalée comme reprise de son Chopin. Carte blanche créée en 2019 à Ekaterinbourg, où la danse liait la musique de Chopin à l’histoire familiale de la chorégraphe. Avec Harriague, les choses sont plus certaines. Il continue à créer en dehors d’Avignon et réserve au festival les primeurs de son nouveau duo, conçu en collaboration avec Emilie Leriche. Où les deux évoquent l’amour et la rencontre, sous le titre de Crocodile et sur la partition de Canto Ostinato  de Simeon Ten Holt, interprétée sur scène par l’Ensemble O.

Mais avant, en première création et ouverture biarrote de la valse des nouveautés, on verra les Cover Pieces  de Sun-A Lee. Si la Coréenne ne compte pas autant de participations au festival qu’Harriague, elle s’y produit néanmoins pour la troisième fois et fait donc, elle aussi, quasiment partie de l’inventaire. Avec sa trilogie, elle s’apprête par ailleurs à dévoiler des facettes très différentes de son talent, à travers trois pièces dont aucune n’a encore été donnée à Biarritz.

Logique, pour une création ? Oui, sauf qu’il s’agit ici d’achever un triptyque dont deux volets préexistent à la création de la conclusion, intitulée Re Cover. Au début était Un Cover, un solo où Lee fait le lien entre notre animalité cachée et les attitudes de séduction, cette théâtralité artificielle dont elle épingle les apparences toxiquement masculines pour finalement dévoiler la douceur du véritable être-soi(e).

Ensuite, et pour la première fois donné en écho à Un Cover, le trio Dis Cover  [notre critique]. Où trois interprètes coréens extorquent à leurs propres ombres de l’inconscient, des vocabulaires chorégraphiques complètement inédits. Cette lutte avec soi-même s’imprègne dans 120 kg d’argile qui se transforment en un paysage graphique quoique piégé, fresque involontaire qui accueille ensuite les quatre âmes faisant de beaux yeux aux éléments et au cosmos. Aussi différentes soient-elles, les trois pièces forment un cycle de la guérison qui reflète intimement l’âme de la chorégraphe.

Points cardinaux

La danse contemporaine dans ses expressions les plus doucement radicales est en effet l’un des axes de programmation que Thierry Malandain a su affiner au fil des ans. En témoigne également la présence du collectif Kor’sia avec Mont Ventoux  [notre critique] où s’expriment un érotisme technomusical, une animalité refoulée et une envie de purification par l’ascension, les chorégraphes Mattia Russo et Antonio de Rosa s’inspirant de Pétrarque, relevant en 1336 le défi du sommet de 1.910 mètres. De même, Biarritz ovationnera Leïla Ka qui présente en une seule soirée son solo Pode Ser, son duo C’est toi qu’on adore et le quintette féminin Bouffées. Trois flashs pour un univers qui travaille la justesse du geste et revendique, avec finesse et subtilité, la liberté de la femme.

Bruno Pradet et sa Cie Vilcanota semblent tout autant chercher une liberté du corps dans le monde, ici en laissant circuler sur le plateau danseurs et musiciens, pour un TumulTe de baroque, rock et électro, où les explosions d’énergies sont aussi jouissives que poussées par l’agitation du monde contemporain. Ce même monde qui fait perdre le nord à Akira Yoshida dans son solo Burial of the Bark, entre danse contemporaine, hip hop et mime contemporain, dans un glissement vers le surréel. Nous sommes alors déjà sur un chemin qui mène au rire, route dont le point d’arrivée se nomme, de façon imprononçable, Valse avec Wrondistilblegretralborilatausgavesosnoselchessou. Et c’est bien sûr Marc Lacourt qui a inventé ce mille-pattes verbal, pour amuser les enfants qu’il aime tant ensorceler, cette fois avec un sextuor aux histoires aussi bricolées que leur décor, tout en y glissant subtilement des pistes à explorer pour appréhender l’histoire de l’art, entre joie et facéties.

Les ballets d’ailleurs…

Mais ce qui singularise Le Temps d’aimer c’est, plus que toute autre chose, la volonté de conserver un lien vivant avec le ballet. En montrant les spectacles, mais aussi en organisant, au sein du festival, les Rencontres des Ballets Français ainsi que des tables rondes consacrées à la santé des danseurs et les Gigabarres animées par les artistes chorégraphiques érudits du vocabulaire classique. Dont en cette année Xenia Wiest, déjà bien connue sur place puisqu’elle avait enchanté le jury du Concours de jeunes chorégraphes de ballet à Biarritz, en 2016, non sans y participer comme membre du jury en 2024.

Fondatrice du Ballet X à Schwerin en Allemagne, Wiest représente la vocation du Temps d’aimer à présenter des compagnies de ballet non ou peu diffusées en France. C’est le cas de Ballet X qui vient avec Bach Past-Present-Future, programme que Wiest partage avec le chorégraphe Jonathan Dos Santos et le pianiste Francesco Tristano, non seulement un excellent interprète de Bach mais aussi auteur de sets électro. Ce qui ne veut pas dire que l’avenir de Bach se trouve sur une table de DJ, mais que l’art de la fugue touche aujourd‘hui encore l’avenir de chacun.

Une étonnante rencontre s’est produite pour le Ballet de Berne, celle avec le Taïwanais Po-Tcheng Sai qui a su nous enchanter l’année dernière au festival Vaison Danses avec sa propre compagnie et sa vision très personnelle de l’histoire d’Alice au Pays des merveilles, [lire notre critique] enrichie de parfums asiatiques. A Berne il a conçu un Don Quixote haut en couleurs. En se référant à Cervantès, il nous livre une fois de plus un contraste marqué entre un grand classique de la littérature et un ballet très contemporain.

…et d’ici 

Cependant, on peut aussi découvrir au Temps d’aimer des compagnies de ballet françaises, de grande qualité et pourtant peu diffusées en leur pays, comme le Ballet de l’Opéra de Metz. Lequel a été confié à Gilles Schamber, autre artiste très apprécié par Thierry Malandain, qui amène ici quatorze danseurs classiques vers une recherche sur l’essence et l’esprit du tango. Et si Astor Piazzolla a déjà été interprété par divers orchestres symphoniques, l’esprit de son univers anime ici une recherche chorégraphique subtile et surprenante.

Il va de soi qu’on trouve dans chaque édition au moins une des grandes compagnies de ballet de ce monde, comme en cette année les Les Ballets de Monte Carlo avec La Mégère apprivoisée, cette grande réussite initialement commandée par le Bolchoï [notre critique]. L’occasion de voir la troupe monégasque en France est en fait plus rare qu’on ne le pense, et il faudra donc en profiter !

Si l’ouverture officielle avec le Ballet de Berne et la clôture officielle avec La Mégère apprivoisée de Jean-Christophe Maillot ont lieu dans la salle si prestigieuse de la Gare du Midi, on note tout autant que les compagnies de ballet invitées ne se produisent pas seulement à Biarritz même, mais traversent le Pays Basque pour être accueillies du nord au sud et à l’intérieur de la région.

Y amener la danse ne se résume donc pas à des solos ou duos, et derrière cela on décèle une vraie volonté. Car le rayonnement du Temps d’aimer à travers la région tisse une toile de plus en plus étendue : Bayonne, Anglet, Pau, Saint-Jean-de-Luz, Errenteria, Boucau, Saint Sever, Socoa, Saint-Jean-Pied-de-Port, Louhossoa, Sain-Pée-sur-Nivelle, Mauléon, Tardets, La Bastide Clairence, Saint-Palais : Reste-t-il un coin du Pays Basque français où le temps d’aimer la danse n’ait pas encore commencé ?

La Movida en ballet et flamenco D’autres compagnies au programme s’éloignent du vocabulaire classique, mais pas de l’esprit des grands ensembles. C’est avec elles que Malandain souligne ses relations vivantes avec l’Espagne, en invitant Manuel Liñan avec ¡Viva!. Où l’on rentre dans l’esprit flamenco par une porte secrète, celle du travestissement. Car ce ballet flamenco, dédié aux femmes et leurs robes classiques, les bata de cola, est interprété par des hommes ! Avec puissance et folie, ça va de soi.

Le Lac des Cygnes y trouve forcément sa place. Victor Jimenez, aussi espagnol que son nom l’indique, place El Lago dans l’univers d’une piscine olympique, où les cygnes sont des nageuses et nageurs, où l’ambiance de Black Swan de Darren Aronofsky semble atteindre l’univers de la compétition sportive alors que le Cygne noir devient un rebelle qui vit sa mue, de quelqu’un aux faux airs prétentieux vers un être authentique et sincère.,>

Thomas Hahn

Le Temps d’aimer la danse, 34e édition Biarritz et Pays Basque, du 4 au 16 septembre 2024

 

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