Les "danses vibrantes" des Excentriques !
Excentriques privilégie l’éclectisme des formes. Sous-titrée “Danses vibrantes”, cette quatrième édition réunit onze équipes artistiques de la Grèce à la Lituanie pour seize représentations du 24 septembre au 6 octobre 2024.
Le CDCN du Val de Marne / La Briqueterie apporte sa pierre à l'ouverture de la saison chorégraphique parisienne avec une petite semaine de programmation diversifiée, du mardi 24 septembre au dimanche 06 octobre. Plusieurs propositions par soirée, jusqu'à trois, la possibilité de se restaurer entre les représentations, un jardin verdoyant, un certain plaisir de vivre et un nom surprenant ; pourquoi Excentriques, ou plutôt pourquoi pas ?
Si l'on remonte loin, au début des années 90, ce que l'on appelait alors Biennale de danse du Val-de-Marne et qui deviendra le CDC La Briqueterie, organisait déjà une manière de manifestation – on ne savait guère s’il s'agissait d'un concours, d'un festival, ou d'autre chose –- qui s'appelait Les Plateaux et invitait de jeunes chorégraphes au début du mois de septembre. Mais les choses ont beaucoup changé, pas que dans la danse, plusieurs directeurs se sont succédé à la Biennale devenue le CDCN du Val de Marne, inauguré en 2013 avec ce bâtiment superbe qui s'appelle La Briqueterie, Sandra Neuveut a été nommé directrice en 2021, et pourtant il y a toujours ce rendez-vous un peu inclassable et peu formaliste.
Il n'a aucun rapport direct avec ses prédécesseurs, y ressemble pourtant ; il s'appelle maintenant Les Excentriques. Mais ne pas se tromper ; « je ne les qualifie pas d'excentriques, précise la directrice en parlant des artistes programmés, et elle rajoute préférer parler “ d'excentralité“ que d'excentricité », manière de rappeler que c'est bien La Briqueterie qui, par sa position géographique, à la congruence des villes d'Ivry, Vitry et Villejuif, mais loin des trois centres de ces villes, dans un quartier qui fut longtemps d'accès difficile, qui est « excentrée » ! Les Excentriques est d'abord un rendez-vous avec un lieu.
Il est donc inutile, voir un peu naïf, de chercher dans cette programmation d'Excentriques 2024 une définition de ce que serait l'excentricité en matière chorégraphique. Même un détour plus ou moins malin qui ferait remarquer que l'on passe de la Grèce au Brésil, ce qui en matière d’excentricité géographique est assez remarquable, ne sert absolument pas à comprendre la programmation. Il n'y a pas de relation nécessaire à l'excentricité qu'il faudrait chercher entre ces artistes. D'ailleurs Sandra Neuveut pose presque le principe comme un préalable et n'importe guère que l'on connaisse Simon Le Borgne (vendredi 27 septembre) ni Chara Kotsali (mardi 24 et jeudi 26 septembre), que Teresa Vittucci (mardi 24 septembre) soit austro-suisse, et Xenia Koghilaki (vendredi 27 septembre) grecque (elle aussi mais avec pas plus de nécessité à cette programmation que de partager avec sa compatriote Kotsali cette qualité nationale et le soutien de la fondation Onassis), ou encore que Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, avec Ne faites pas la moue #1 (vendredi 4 octobre) viennent pour une forme inclassable entre danse et philosophie.
Pol Pi nous invite à découvrir une grotte et ses créatures (les 2, 3 et 4 octobre) dans une « installation-grotte » née de son interaction avec la grotte des Combarelles. Dissemblables assez, divergents parfois, mais excentriques seulement parce que rassemblés dans une programmation qui n'est pas « au centre ». En somme, le lieu et la relation particulière que les artistes vont entretenir avec lui et avec le public qui va le fréquenter importe beaucoup plus que de chercher une quelconque stylistique, une personnalité particulière dont les expressions seraient ici unifiées sous un mot d'ordre fédérateur : l'excentricité. Il y a certes une proposition, celle de Dominique Brun, habituée des plongées cultivées dans l'histoire de la danse, pour proposer une Belle Excentrique le samedi 28 septembre [lire notre critique]. Élise Toulemont dite « Cariathys » surnommée La Belle excentrique, avait inspiré à Erik Satie, sa partition éponyme pour une suite de danse dont elle sera l’interprète. Mais la référence va plutôt vers le monde d'Erik Satie, qui était vraiment excentrique et affirmait « je m'appelle Erik Satie, comme tout le monde », ce qui prouve qu'il n'avait rien d'excentré.
Cependant tout ces artistes rassemblés sur une petite semaine ne viennent pas là par hasard. Ils sont en résidence. Dalila Belaza qui présente sa pièce sur la bourrée, Rive, les mercredi 2, jeudi 3, vendredi 4 octobre est même la nouvelle artiste associée du lieu. D’autres ont répété dans les studios de La Briqueterie, ou participent de réseaux internationaux auxquels adhère ce CDCN, (par exemple, les deux chorégraphes grecques, avec entre autres Slamming, la proposition de Xenia Koghilaki, présentée comme un genre de pogo féminin !), ou ont un lien particulier au lieu.
Mais si, poussé par « le démon de l'analogie », nous explorions plus avant encore pour déceler une fibre commune, nous trouverions les formes populaires chez Mounia Nassangar, icône internationale du waacking, danseuse et mannequin et membre de l’iconique House of Gorgeous Gucci, avec S.T.U.C.K sa première pièce chorégraphique avec cinq danseuses, qui appréhendent chacune à leur manière cette discipline libératrice… peut-être en lien avec la bourrée de Dalila….Mais les deux ont beau être populaire, c'est loin ! Autant que le cabaret du père Satie (populaire quand même). Ou alors la possession de Teresa Vittucci pour Sane Satan, une version ludique du récit du mal où Satan devient une figure féministe, en regard du to be possessed de Chara Kotsali, un solo inspiré par l’état de possession spiritiste, mais c'est très indirect… Enfin, la machinerie baroque de Navigations fait gronder les éléments dans le musée MACVAL (le 6 octobre). Dans le fond, le révélateur est mécanique. Dans ce domaine, un excentrique « permet de transformer un mouvement de rotation en mouvement rectiligne alternatif ». Eh bien voilà !
Philippe Verrièle
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