« La Mégère apprivoisée » de Jean-Christophe Maillot
Créée pour les danseurs du Ballet du Bolchoï en juillet dernier, La Mégère apprivoisée de Jean-Christophe Maillot, ouvrait brillamment l’année France-Russie à Monaco. C’était la première fois qu’il travaillait avec la célèbre troupe russe et également l’une des seules créations donnée pour d’autres danseurs que ceux des Ballets de Monte-Carlo.
La Mégère selon Jean-Christophe Maillot est une fille d’un érotisme affolant qui n’en fait qu’à sa tête, et surtout, fiche la frousse aux hommes qui tentent de l’approcher. Elle, ça l’amuse. Eux, préfèrent sa sœur, la douce et coquette Bianca. Mais voilà, il faut marier la première, avant de pouvoir épouser la seconde.
Portrait d’une femme farouche, sauvage, aspirant à la liberté, qui déteste les conventions et les minauderies, cette Mégère, signée Jean-Christophe Maillot et Jean Rouaud (auteur du livret) ressemble sans doute plus à une femme russe qu’à une capricieuse du XVIe siècle. On pourra peut-être l’apprivoiser mais jamais l’enfermer.
Jean-Christophe Maillot chorégraphie avec malice le rapport de Katharina (la Mégère, Ekaterina Krysanova) et Bianca (sa sœur, Anastasia Stashkevich) et des hommes qui leur tournent autour, à commencer par leur père, (Artemy Belyakov) et les nombreux prétendants que les filles et leur dot attirent. C’est une vraie ronde où paraissent vieux beaux, et jeunes coqs, garçons un peu timides, bref, toute la panoplie des mâles en piste pour la parade nuptiale. Jusqu’à l’arrivée d’une sorte d’ours, dans un manteau de boyard à plumes, le sulfureux Petruchio (Vladislav Lantratov). Il arrive sur scène comme un ouragan, se jette littéralement aux pieds de Katharina d’un bond avec un emportement digne des Moïsseiev. En contrepoint, les duos romantiques de Bianca et son promis Lucentio (Semyon Chudin), le personnage un peu vénéneux de la gouvernante (Anna Tikhomirova), ou les facéties de Grumio, servirteur de Petruchio (Vyacheslav Lopatin) contribuent à tisser un fil narratif habile.
Que dire de plus ? Les danseurs du Bolchoï sont ahurissants et Jean-Christophe Maillot un chorégraphe à leur mesure.
Tout de passion et de fureur, le duo Krysanova – Lantatrov se lance avec une énergie d’animal dans des portés fulgurants, des étreintes coléreuses, des élans foudroyants qui se résolvent dans des allures de tigre quand ils se tournent autour. Érotique et sinueuse avec ses courbes qui s’infléchissent et s’abandonnent, finalement, Maillot a savamment écrit le rôle d’une femme fatale, et su inventer un « mauvais garçon » à la hauteur éblouissant et ravageur pour l’apprivoiser, et non la dompter. Autour d’eux, les rôles secondaires et le corps de ballet, aussi exceptionnels de technique et d’interprétation, rendent crédible ce Shakespeare russifié en diable. Car pour le théâtre, les danseurs russes ne le cèdent à personne, l’expressivité est au rendez-vous, avec une puissance émotionnelle rare.
Reste que l’on n’avait pas vu – et depuis longtemps – un tel feu d’artifice de pas classiques : rivoltades renversantes, avalanches de grands jetés, tours à n’en plus finir, le tout exécuté sans même sembler y penser, avec un allant incomparable et une perfection technique de tous les instants. Ajoutez à cela les courbes des bras des danseuses, leurs épaulements frissonnants, et leur cou-de-pieds impressionnant et vous aurez une idée de la qualité du Ballet du Bolchoï. Mais c’est la chorégraphie de Jean-Christophe Maillot, qui, tout en utilisant ce vocabulaire virtuose, sait lui injecter ce je-ne-sais-quoi totalement d’aujourd’hui qui fait de cette Mégère une vraie réussite. Ça tient peut-être de cette rapidité, de ce dynamisme des enchaînements qui ne laisse le temps ni aux danseurs, ni au public, de s’attarder sur la prouesse, mais imprime à l’ensemble un rythme implaccable. Il faut dire que le chorégraphe a eu l’intelligence de faire un montage de compositions de Dimitri Chostakovitch dirigées de main de maître par Igor Dronov à la tête de l’Orchestre de Monte-Carlo, –notamment des passages de la comédie musicale Moscou-Tcheromiouchki, de la musique d’Hamlet, des morceaux de la suite du Taon, des extraits de symphonie et même la « Leningrad » morceau d’anthologie russo-soviétique, et pour finir Tahiti Trot (un arrangement de Tea for two) – qui exalte le ballet.
La sobriété des décors d’Ernest Pignon Ernest (un escalier courbe et modulable, et quelques cubes blancs), des costumes sans chi-chi d’Augustin Maillot renforcent l’intensité des scènes par leur simplicité.
La Mégère apprivoisée, commande de Sergeï Filin, directeur de la danse pour le Bolchoï de Moscou, a obtenu sept nominations pour les prochains Golden Mask à Moscou, dans les catégories suivantes :Catégorie Ballet/Meilleur spectacle, Jean-Christophe Maillot - catégorie Meilleur Chorégraphe, Igor Dronov - catégorie meilleur chef d’orchestre,Catégorie Meilleur danseur, meilleure danseuse : les 4 danseurs principaux : Krysanova, Lantratov, Smirnova, Chudin
Agnès Izrine
19 décembre 2014, Grimaldi Forum, Monaco
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