« La Chauve-Souris » de Roland Petit
Roland Petit est un chorégraphe qui savait raconter des histoires mieux que personne. Sa Chauve-Souris, créée en 1979 sur cette même scène du théâtre des Champs-Elysées et repris par le Ballet de l’Opéra de Rome en est l’une des preuves les plus flagrantes. Le ballet est une adaptation de l’opérette de Johann Strauss fils, dont le livret est digne des meilleures pièces de boulevard avec ses quiproquos et ses retournements. Roland Petit en a simplifié le récit pour le rendre compatible et compréhensible par le seul usage de la danse. L’action se passe non plus à Vienne mais à Paris, dans une famille bourgeoise. Le pitch est simplissime : Une femme reconquiert son mari infidèle (La Chauve-Souris qui prend son envol la nuit) en se déguisant en femme fatale lors d’une soirée chez Maxim’s. À leur retour à la maison, elle lui coupera, délicatement, ses ailes (de chauve-souris).
Dans ce ballet, tous les talents de Roland Petit sont mis à contribution : son efficacité de chorégraphe, son sens de la revue avec des cancans endiablés sur les valses de Strauss et des boys impeccables, mais aussi son amour du cinéma et son perfectionnisme. La chorégraphie est enlevée, bâtie sur un rythme effréné, dotée d’humour savoureux qui fait mouche. Les personnages, comme la gestuelle, ont été conçus sur mesure pour Zizi Jeanmaire, Denys Ganio et Luigi Bonino. C’est d’ailleurs ce dernier qui est venu remonter le ballet à Rome. Le pari était risqué, mais il est très réussi !
Les solistes sont pétillants à souhait, et semblent s’amuser dans cette gestuelle pleine de fantaisie, qui conjugue à une technique tirée au cordeau, les complexités chères à Roland Petit, comme ces passages de l’en-dehors à l’en-dedans qui donne au mouvement un twist digne de Charlie Chaplin ou une sensualité audacieuse dont Zizi Jeanmaire jouait avec un brio inimmitable. Iana Salenko (Bella) et Marian Walter (Johann) sont brillants et ne perdent pas le rythme de cette intrigue endiablée, Marco Morangio campe un Ulrich désopilant et se coule si bien dans son rôle que l’on croit, parfois, revoir Bonino.
La scénographie, revue par Jean-Michel Wilmotte, tout comme les costumes signés Luisa Spinatelli sont bien trouvés et à la hauteur de cette recréation. La Chauve-Souris n’avait jamais été reprise en quarante ans, même pas par le Ballet de Marseille. C’est donc une idée formidable qu’a eue Eleonora Abbagnato, directrice du Ballet de Rome (et toujours danseuse étoile à l’Opéra de Paris). Cette dernière a toujours considéré Roland Petit, qui l’a fait débuter toute jeune, comme son « mentor ». C’est aussi grâce à sa Carmen, qu’elle est nommée Etoile. C’était sans doute pour elle une belle occasion de lui rendre hommage, et pour nous de savourer ce ballet qui, pour être divertissant, n’en est pas moins jubilatoire.
Agnès Izrine
Théâtre des Champs-Elysées, le 14 janvier 2017
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