Julie Salgues : « Des Îles » à la Biennale du Val-de-Marne
A partir d’un projet d’écriture, le portrait d’une interprète, vue par Nathalie Collantes, Dominique Brun et Myriam Gourfink. Un haïku chorégraphique ?
De si loin / J’arrive / Là – dans l’ordre des créations, de 2019 à 2021, les titres des trois solos interprétés par Julie Salgues créent une phrase. Mieux : un haïku. Trois brèves, créées pour elle, par et avec Dominique Brun, Nathalie Collantes et Myriam Gourfink, si bien que l’ordre de création et des titres distribue les noms des chorégraphes en ordre alphabétique. Ce qui ressemble à des clins d’œil, forme peut-être les signes extérieurs du lien entre danse et écriture, qui est à l’origine de ce triptyque.
Tout est parti d’une envie de Julie Salgues, et d’un constat, à un moment clé de son parcours, quand la danseuse découvre l’envie de rendre compte par écrit du travail des trois chorégraphes avec lesquelles elle partage de longues années de collaboration et une complicité patiemment construite. Et elle se rend compte que la danse est habituellement racontée du point de vue des chorégraphes. Où sont les interprètes qui écrivent sur la danse ? Elle décide de relever le défi et son projet d’écriture obtient le soutien des CCN de Caen et du Havre. Ensuite, elle décide d’y lier un projet scénique.
« J’ai suivi Dominique Brun depuis 2004, Nathalie Collantes également depuis très longtemps et Myriam Gourfink depuis sept ou huit créations », dit-elle. « En écrivant sur elles j’ai vraiment pris conscience des grandes différences entre leurs processus de travail et ça m’a donné envie de danser, de créer avec elles, dans une relation d’échange et de dialogue. »
Par ailleurs, leurs parcours communs continuent, au-delà des Îles. On a notamment vu Julie Salgues en mars 2021 à Chaillot – Théâtre National de la Danse dans la recréation des Noces de Nijinska [lire notre critique] par Dominique Brun et elle continue à danser dans le trio Pilote_ce qui nous lie de Nathalie Collantes (avec Julie Salgues, Christine Gérard et Suzon Holzer ou Stéphanie Roussel). Et malgré les grandes différences entre les trois univers qui constituent Des Îles, Salgues constate qu’« il y a beaucoup d’échos entre eux ». Sans aller jusqu’à créer des mélanges, puisque chaque solo a été créé de façon indépendante.
De si loin, en effet, Dominique Brun arrive. L’ambiance très chargée et aux ambiances romanesques dessine peut-être cet endroit d’où est parti le personnage qui se balade comme dans la cour d’un lieu de retraite spirituelle. Par la parole, l’interprète évoque les six minutes où elle se tenait immobile, dans la relecture du Sacre du printemps par la chorégraphe. Et elle compte à voix haute: « Dominique Brun m’a proposé de garder une tâche constamment, je compte mon pouls jusqu’à 60 et je reprends. Je garde ce dénombrement lorsque je danse. » D’où l’ambiance si concentrée... ?
Un air de cabaret s’installe dans J’arrive, où une partie du public prend place sur des coussins posés autour de l’aire de jeu, délimitée par un cercle de LED blancs. Tout part ici de la relation au sol, chez l’interprète comme chez le spectateur.
Presque burlesque par moments, J’arrive revendique une liberté ludique vis-à-vis des formes conventionnelles en danse contemporaine. « Nathalie Collantes a longtemps été proche de Jacqueline Robinson et de son travail d’improvisation. En revanche, la recherche de Myriam Gourfink se rapproche du yoga. Elle travaille à la fois sur le non-effort et sur la puissance de la femme, alors qu’en général, la danse met en avant la souplesse du corps féminin. »
Et Julie Salgues arrive donc Là, dans l’univers trans-espèces de Gourfink, où se rejoignent l’humain, le végétal, le minéral dans un état de stabilité paradoxale. La surprise vient ici de Kaspar T. Toeplitz , fidèle compagnon musical de Gourfink, car il offre à l’interprète un environnement presque bucolique, aux antipodes de l’esprit dantesque de ses tempêtes sonores habituelles.
Au fil des années, Julie Salgues a mené de front son travail d’interprète avec les trois chorégraphes réunies pour Des Îles. Mais c’est encore un autre défi mental et physique que de passer d’un univers à l’autre au cours d’une soirée, même si, pour l’interprète qu’elle est, certains ponts se construisent : « La pratique du yoga m’a aidée, dans la longue séquence du Sacre où je dois me tenir immobile, à accepter de disparaître tout en étant sur scène. Et Dominique Brun a accepté, pour De si loin, de réserver une séquence à l’improvisation. » Les trois pièces réunies, il a fallu changer l’ordre, pour commencer par J’arrive, en raison de sa scénographie en LED.Ça donne donc : J’arrive/ De si loin/ Là. Le haïku est perturbé, mais la danse fait son chemin.
Thomas Hahn
Biennale de danse du Val-de-Marne, Le Regard du Cygne, 11 mars 2021 (représentation réservée aux professionnels)
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