Jonah Bokaer à la Biennale de la Danse de Lyon
Jonah Bokaer, jeune artiste américain qui a travaillé, entre autres, avec Merce Cunningham, présente, à la Biennale de la Danse de Lyon une création événement Rules Of The Game en collaboration avec le plasticien Daniel Arsham et le musicien Pharell Williams.
DCH : Vous présentez, pour cette Biennale, Rules Of The Game, une collaboration avec le plasticien Daniel Arsham et le musicien Pharell Williams qui a composé pour l’orchestre symphonique de Dallas. D’où est née l’idée de cette collaboration?
Jonah Bokaer : Le concept artistique de cette production s’est construit au fil du temps. Elle est l’aboutissement de plusieurs années de collaboration avec le plasticien Daniel Arsham, depuis 2007. La rencontre avec Pharrell Williams a en premier lieu été assez informelle, nous avions tous les trois le désir de collaborer ensemble mais sans pour autant savoir au début quelle forme aurait cette production. Peu à peu nous avons rajouté à la ligne mélodique des éléments rythmiques et musicaux afin d'ajuster cette partition originale, pour un orchestre symphonique. En même temps de nouveaux éléments scéniques et de décors, de nouveaux collaborateurs se sont greffés et les choses se sont mises en place de manière tout à fait organiques jusqu'à la première qui à eu lieu à Dallas. Le fait de travailler avec le compositeur et arrangeur David Campbell sur cette partition originale de Pharrell a également été un énorme atout pour cette production. Ça a été aussi une grande chance de pouvoir présenter notre première dans les conditions que le Festival SOLUNA de Dallas offrait, pour nous trois il était essentiel que la musique soit interprété en live par un orchestre philharmonique pour notre première.
Photos : Sharen Bradford
DCH : Pourquoi avez vous choisi Pharell Williams ?
Jonah Bokaer : Daniel Arhsam a commencé à collaborer avec Pharrell Williams pour quelques projets, je collabore avec Daniel depuis dix ans, mais nous n’avions encore jamais collaboré tous les trois ensembles. Nous avions envie de produire un spectacle de grande envergure et c’est comme cela que nous avons choisi de nous rapprocher. C’était la première fois que Parrell Williams composait pour de la danse ou du théâtre. Le festival de SOLUNA de Dallas a joué un grand rôle dans la prise de décision pour choisir Pharrell Williams. En effet, chaque année le Festival SOLUNA organisé par le Dallas Symphonique Orchestra invite un artiste pour composer une partition originale pour l'orchestre. Cette volonté s'inscrit dans une démarche de démocratiser la musique savante et d’ouvrir les portes de l'opéra ou de la salle de concert au plus grand public.
DCH : Pensez-vous qu’il y ait une tendance à se tourner vers des formes dites « populaires » dans la danse contemporaine actuelle ?
Jonah Bokaer : Je pense que le terme populaire est un terme très positif surtout dans l’art. En effet il me semble essentiel pour n’importe quel artiste de pouvoir faire écho aux formes populaires, je travaille souvent autour des mythes de la littérature, et des histoires modernes ou plus anciennes. Je suis en permanent va-et-vient entre mon passé et la vie contemporaine. Pour moi il est essentiel de pouvoir naviguer entre passé et présent, dans mon travail il m’arrive d’explorer mon histoire aussi bien que notre Histoire. Plusieurs de mes travaux font référence aux mythes ou aux légendes populaires tels que: Other Myths, The Ulysses Syndrome, Triple Écho...
Photos : Sharen Bradford
DCH : Pensez-vous que cette distinction entre formes « savantes » et « populaires » n’est pas si importante, ou si marquée, aux Etats-Unis ?
Jonah Bokaer : L’histoire de la danse aux Etat Unis est un peu différente. Il existe plusieurs courants mais, en effet, les tendances sont assez différentes: il faut vraiment rappeler que ma génération a commencé en 1998, or, pour ma part j'ai commencé à chorégraphier en 2002: nous pouvons compter 14 saisons de créations originales, et 55 pièces dans notre répertoire. La diversité de la danse aux Etats-Unis est très vaste, et la distinction entre formes aussi. Je remercie La Biennale, d'avoir inclus notre voix dans cette édition, c'est très important de perpétuer le lien entre l'Amérique, et la France.
DCH : Vous présentez également deux pièces de 2011, Why Patterns, et RECESS est-ce vous qui avez choisi ces deux pièces, et si oui, pourquoi ?
Jonah Bokaer : Nous avons choisi ces deux pièces de répertoire avec Daniel. Il nous a semblé évident de présenter un triptyque pour célébrer ce dixième anniversaire de notre collaboration. Why Patterns et RECESS sont deux répertoires emblématiques de notre travail. Why Patterns est visuellement très stimulant, c’est une très belle partition pour les quarte danseurs qui l’interprètent aussi. RECESS est un solo que nous avons choisi d’encastrer entre ces deux moments afin d’aérer le rythme de ce program en trois moments incluent ainsi trois intensités différentes.
Photos : Sharen Bradford
DCH : Comment choisissez-vous vos danseurs ?
Jonah Bokaer : Je choisis mes danseurs en fonction de chaque projet, et en fonction de ce qu’ils ont à offrir et souvent en fonction de leur provenance. Pour Rules Of The Game j’avais besoin de voir sur le plateau une grande diversité de corps, mais aussi de culture. Dans cette pièce se mélangent des danseurs d’Europe, d’Europe de l’Est, d’Amérique centrale d’Afrique du Nord. Mais par exemple pour Other Myths j'ai travaillé avec des danseurs d'Europe de l'Est la raison est que je leur ai demandé d'apporter un mythe chacun ainsi qu'une histoire personnelle. Ils étaient la matière première de ce travail.
DCH : Vous collaborez régulièrement avec Daniel Arsham, pour vous, en quoi est-il important de travailler avec un plasticien contemporain ?
Jonah Bokaer : Daniel Arsham et moi avons collaboré ensemble depuis dix ans. Rules Of The Game représente la plus importante production que nous ayons réalisé ensemble et couronne en quelque sorte ces dix années de collaboration artistique et d’explorations. J’aime travailler avec Daniel par ce que nous avons réussi à développer ensemble : un langage artistique qui nous appartient. Nous nous sommes rencontrés jeunes à un moment ou nous partagions la même sensibilité. Nous avons grandi artistiquement ensemble en même temps.
DCH : Comment les chorégraphes américains d’aujourd’hui arrivent-ils à vivre de leur art ? Est-il encore possible d’avoir une compagnie de danse ?
Jonah Bokaer : Bien sûr. Le financement de l’art et de la culture aux Etats-Unis est diffèrent du système européen ou français, il y a moins d’opportunités pour des financements publics mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de moyens de financement. Au contraire l’économie est robuste et dynamique. Il est important de bien comprendre les piliers et fondements de la culture américaine pour comprendre le financement et la politique de nouveaux business ou de projets culturels.
Par ailleurs, je bénéficie également grâce à mon organisation à but non lucratif une "501c3" équivalent de l’Association de loi 1901 en France, située à Brooklyn, NY, de subventions de la part de Fondations non gouvernementales mais aussi de la part de l‘Etat, de la ville de New York. Dans notre cas, environ 70% de notre budget provient de Fondations, 20% provient de fonds publics et 10% de donations privées. Je pense qu’il faut tout simplement pouvoir être créatif aussi bien sur le plan artistique qu’entrepreneurial, et mon organisation a déjà traversé dix années et n’a fait que grandir, nous sommes dans un système sain et pérenne. Nous sommes aussi bien implanté au sein d’un quartier en pleine mutation que sur la scène internationale. Mon travail a été présenté dans près d’une trentaine de pays.
DCH : Pensez-vous que le système américain (basé sur des financements privés) est mieux ou moins bien que le système français (basé sur des financements publics) ? Pensez-vous que ces deux systèmes génèrent des types d’œuvres différents ?
Jonah Bokaer : Je ne pense pas. Je pense que dans l’art comme dans le business si une idée est suffisamment solide alors il suffit d’être créatif et les financements suivent. Il y a énormément d’artistes exceptionnels qui résident aux Etats-Unis et qui ont réussi à lever des fonds ou à trouver des solutions de financement. Dans mon cas j’ai la chance et le privilège immense de travailler et de collaborer avec des institutions culturelles françaises, et c’est une expérience exceptionnelle de pouvoir être reçu dans des théâtres et festivals hautement professionnels. Les infrastructures sont solides et cette solidité permet un certain confort et donc une certaine liberté dans le travail, et la recherche. Je pense que les artistes français et européens ont une très grande chance l'exception culturelle donne au peuple une grande liberté d’expression et surtout de l’espace pour penser, pour questionner et critiquer. Pour moi un gouvernement, une nation qui met autant de moyen en œuvre pour servir une volonté publique, soutenir la création, et sensibiliser ses concitoyens à l'art est un gouvernement au service d’une nation moderniste et avancée.
J’aimerais avoir davantage de temps pour créer et me concentrer sur le travail artistique mais l’aspect entrepreneurial de mon activité me plaît beaucoup et j’aime avoir un pied dans la réalité économique. Aussi Je pense avoir une véritable âme d’entrepreneur et je prends plaisir à diriger mon équipe qui est très internationale.
DCH : Vous considérez-vous plutôt comme chorégraphe ou comme artiste pluridisciplinaire ?
Jonah Bokaer : Comme artiste pluridisciplinaire. Je viens de finir le montage d’une exposition importante au Parrish Art Museum. Le Parrish Art Museum a déménagé en 2012 à Watermill. L’architecture du lieu a été spécialement conçue par Herzog & de Meuron pour accueillir la collection permanente du musée. Terrie Sultan, la directrice du Parrish Art Museum ainsi que mon amie et collaboratrice Andrea Grover commissaire générale du musée m’ont invitées cette année pour réinventer l’espace muséal par l’art. Mon geste, ma réponse a été une installation monumentale de 122 dessins et la projection de deux vidéos. Le deux sont une référence à l’opéra de Morton Feldman Neither.
Propos recueillis par Agnès Izrine
Biennale de la Danse de Lyon, TNP Villeurbanne les 28 et 29 septembre 2016 à 20h30
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