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Frédérick Gravel : « Tout se pète la gueule, chérie »

Quatorze ans après, Frédérick Gravel revient sur une pièce culte qui met à mal le mâle avec un humour ravageur.

Avec un titre digne d’un polar à l’ancienne (mais en fait, ça en dit déjà beaucoup !) et d'un constat de mâle désabusé Frédérick Gravel, artiste québécois, chorégraphe, danseur, et musicien, signe un show débridé, et pour tout dire : poilant !

Tout commence par une sorte de « seul en scène » où Frédérick, face public, vient nous raconter la genèse de cette reprise d’une pièce vieille de quatorze ans. Il se souvient qu’alors, la presse comme le public, avait fait de Tout se casse la gueule, Chérie une sorte de manifeste sur la crise de la masculinité, tandis que lui, pensait plutôt réaliser une performance questionnant le désœuvrement, celui des villes désindustrialisées, surtout dans les parties les plus froides et esseulées du Québec, bref, un pamphlet social plutôt que sociétal. Une méprise, donc, qu’il s’agit donc soit de réparer, soit de conforter en la confrontant aux signes des temps. Bientôt, cela dérape vers une introspection en règle, où Gravel nous parle de ses doutes, de ses espoirs, exposant sa vulnérabilité et sa fragilité comme pour démonter le propos précédent comme l’image qu’il projette. D’ailleurs, le voilà qui se demande si on crée « pour avoir des partenaires sexuels »,ou  si l’art contemporain mérite l’argent public. Mais par glissements progressifs nous voici dans  la pièce elle-même ou Gravel et ses compères, Stéphane Boucher, Dany Desjardins, Frédérick Gravel, David-Emmanuel Jauniaux (il y avait Dave Saint-Pierre et Nicolas Cantin à la création en 2010) foncent dans les clichés à coup de bières à gogo, de santiags et même de stetson, de costards, de slips mal ajustés, qui tout en affirmant une masculinité triomphante raconte plutôt la chute de l’Empire américain (tiens, encore un auteur québécois !) et la déroute du mâle alpha qui s’empêtre dans toutes les représentations obligées de lui-même, jusqu’à exposer les attributs de la virilité dans une scène surréaliste où l’un des interprètes, affublé d’une imposante perruque, nous offre une entrée digne de Louis XIV  et un numéro de Pole Dance de poupée blonde américaine. Et rien n’y fait, ni la venue d’un ange improbable avec ses ailes roses, ni la violence assenée comme autant de coups, tout se pète effectivement la gueule, dans cette pièce férocement sexuée et sexuelle, et l’ego de ces hommes pas si forts chancelle sous l’ironie implacable du chorégraphe.

Mais ce qui tient, indubitablement, c’est le talent des danseurs, qui l’air de rien, où plutôt de méchants machos, sont de formidables interprètes, tout comme Stéphane Boucher, multi instrumentiste, et un peu homme-orchestre, invente un concert de rock à lui tout seul, aidé en cela par Gravel qui de temps en temps lui donne un coup de main à la guitare.

Et finalement, et malgré la tendance qui pousse à voir Tout se pète la gueule, chérie, comme réglant son compte au masculinisme, on retrouve également ce qu'évoquait Gravel dans son discours du début. Donc à la fois cette difficulté à sortir du modèle imposé, et ce désœuvrement, ce désarroi qui affecte ces hommes éloignés de la ville et du travail. Mais, bien sûr, il y a une sorte d'équation sociale, hélas, qui fait que bien souvent, ce sont les mêmes.

Cette pièce ne serait rien sans cette chorégraphie d’une précision diabolique qui, ne serait-ce que par la finesse de l’écriture, ruine le propos caricatural et règle son compte aux virilistes de tout poil. On vous l’a bien dit. C’est poilant !

Agnès Izrine

Le 15 juillet 2024, On (y) danse aussi l’été, Les Hivernales CDCN. Dans le cadre d’Avignon Off.

Distribution

Conception et direction Frédérick Gravel
Danseurs et musiciens à la création Stéphane Boucher, Nicolas Cantin, Frédérick Gravel, Dave St-Pierre
Danseurs et musiciens à la reprise Stéphane Boucher, Dany Desjardins, Frédérick Gravel, David-Emmanuel Jauniaux
Musique originale Stéphane Boucher
Costumes Didier Sénécal
Lumière Alexandre Pilon-Guay
Dramaturgie Katya Montaignac
Direction des répétitions Anne Lebeau (création), Jamie Wright (reprise)
Regard extérieur Ivana Milicevic, Anne Lebeau, Claude Poissant, Hugo Gravel

 

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