Forsythe le Retour à l’Opéra Garnier
Un programme en forme de festival Forsythe avec le Ballet de l’Opéra de Paris, pour le plus grand bonheur des spectateurs… et des danseurs !
Voilà 33 ans que William Forsythe crée avec, pour, l’Opéra de Paris. Invité par Rudolf Noureev alors qu’il était peu connu, en 1983, pour France/Danse, c’est aussi pour l’Opéra et ses étoiles qui ont alors pour nom Sylvie Guillem, Isabelle Guérin, Manuel Legris et Laurent Hilaire qu’il chorégraphie In the Middle Somewhat Elevated en 1987, qui sera ensuite repris par sa compagnie pour constituer le cœur d’Impressing The Czar. Depuis, il n’a jamais cessé de revenir et l’Opéra de Paris peut s’ennorgueillir d’avoir à son répertoire les créations de Woundwork 1 et Pas./parts (1999), et d’avoir fait entrer à son répertoire The Vertiginous Thrill of Exactitude (1999), Approximate Sonata (2006), et Artifact Suite (2006).
Le programme présenté se compose quasiment de trois créations, car Approximate Sonata n’est ici pas une reprise mais une recréation, surtout d’un point de vue musical, puisque le piano (référence à la sonate) a été remplacé par les basses de Thom Willems. S’y ajoute l’entrée au répertoire de Of Any If And (1995) et enfin la création de Blake Work I sur un album de James Blake, rejoignant ainsi la tendance qui vise à puiser aux sources populaires qui irrigue la danse de ces deux, trois, dernières années.
Bref, un festival Forsythe, pour le plus grand bonheur des danseurs et des spectateurs, enthousiastes lors de la Première.
Galerie photo : Anne Ray / OnP
Eleonore Guérineau et Vincent Chaillet nous ont ébloui dans Of Any If And. La scénographie, qui fait descendre des cintres des mots, comme autant de phrases elliptiques, tout comme les deux personnes qui murmurent une mystérieuse partition, nous rappellent que William Forsythe considère la danse comme un langage, avec vocabulaire, syntaxe et littérature. Et comme cette dernière, les mots ne sont que le support servant à l’innovation. Des pas classiques, donc. Des figures de styles qui n’appartiennent qu’à Forsythe et qui les font apparaître sous un jour neuf, voire inconnu. Extrêmement rapide, évoluant dans toutes les dimensions de l’espace comme pour le pulvériser, le couple est réuni par la propagation du mouvement d’un corps à l’autre. Comme une forme de contrepoint où les lignes mélodiques se doivent d’être conjointes et se répercutent sans vraiment se répondre. En tout cas, le résultat est virtuose et demande une écoute et une connaissance du mouvement, de la part de chacun des interprètes, impressionnante.
Galerie photo Anne Ray/Onp
Approximate Sonata déplace ce premier procédé à l’ensemble de la coordinnation du corps. Le mouvement se propage alors du segment qui l’initie à son point ultime en le développant au maximum. Le sujet reste l’interprète, comme en témoigne un début intimiste où le premier couple (Alice Renavand et Adrien Couvez) feignent d’être seuls en studio. Trois autres couples (Marie-Agnès Gillot et Audric Bezard, Eleonora Abbagnato et Alessio Carbone, Hannah O’Neill et Fabien Révillon) leur emboîtent bientôt le pas.
Galerie photo Anne Ray/Onp
Répétée sur une sonate de Beethoven, Approximate Sonata est dansée sur une musique de Thom Willems dont le rythme est différent. Les danseurs doivent néanmoins garder le tempo Beethovennien. Ce qui crée une sorte de décalage visuel pour le spectateur, une forme de trouble équivalent à une mauvaise synchronisation entre le son et l’image. De cet impossible ajustement, naît l’impression d’une création spontanée, d’une improvisation. Les corps s’imbriquent, la gestuelle se déploie à l’extrême de son développement. C’est du vocabulaire classique, mais qui ose tendre à point de rupture, ou d’incandescence.
Galerie photo Anne Ray/Onp
Reste que le choc de la soirée reste Blake Works I, sorte de feu d’artifice avant le 14 juillet ! En tuniques et collants bleu ciel, les danseurs commencent par une sorte d’exposition de l’École française avant de partir dans toutes sortes de variations sur ce thème. Plus encore que Sérénade de Balanchine (à cause du bleu des costumes et de la gestion du corps de ballet), c’est le fantôme de Robbins qui se glisse par moment dans ce vocabulaire classique interprété avec une liberté ahurissante dans les corps. La musique électro londoniene mais néanmoins lyrique de James Blake n’y est pas pour peu. Découpé en 7 morceaux (7 chansons du dernier album du chanteur), le ballet réunit vingt et un danseurs dans des ensembles d’un contrepoint parfait. Forsythe est manifestement parti de ce qu’étaient les danseurs de l’Opéra pour cette création, de leurs possibilités intrinsèques, comme il l’avait fait pour In The Middle Somewhat Elevated en son temps.
Galerie photo Anne Ray/Onp
Ce faisant, il rend un hommage époustouflant au Ballet et témoigne de son goût et de sa connaissance du langage classique. Décontractés, syncopés à souhait, les danseurs (tous formidables) swinguent sur des pas plus virtuoses les uns que les autres, les corps semblent se laisser aller dans ce bain de jouvence qui rénove d’un coup tout académisme comme dans ce quatuor qui réunit Ludmila Pagliero, Léonore Baulac, Hugo Marchand et Germain Louvet (I Hope my Life). Mais cette œuvre brillante à souhait, laisse aussi place à sa pointe de nostalgie, particulièrement dans le duo entre Léonore Baulac et François Alu, d’une délicatesse infinie (Color in anything), mais aussi entre Ludmila Pagliero et Germain Louvet (Forever).
On attend avec impatience le Blake Work II que le « I » laisse entendre…
Agnès Izrine
Opéra Garnier, jusqu’au 16 juillet 2016.
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