Extraordinaire Nederlands Dans Theater !
Coup double pour le Nederlands Dans Theater au Théâtre de la Ville avec Solo Echo (2012) de Crystal Pite, en première française, et Ties Unseen, une création de Christos Papadoupoulos exceptionnelle.
Crystal Pite, dont on a pu voir récemment au Théâtre des Champs-Elysées sa prestation pour la Ballet national du Canada, livre avec Solo Echo une pièce d’une tenue irréprochable. La scénographie signée Jay Gower Taylor et les éclairages talentueux de Tom Visser nimbent l’ensemble d’une sorte de rêve d’hiver, la neige tombant sans discontinuer sur ce paysage sombre, travaillé uniquement d’effets lumineux qui suffisent à diffuser soit une ambiance nordique, soit l’impression très urbaine de réverbères.
Bien sûr, la patte de Crystal Pite est inimitable : ses mouvements amples, ses pas frottés ou glissés d’une rapidité folle, ses tours impondérables, ses bras interminables, ses intrications internes, ses abandons, les portés très lyriques, les glissandos romantiques et les embrassades qui s’embrasent. Bien sûr, on trouve aussi dans Solo Echo ce que promet le titre : un solo initial qui se déploie comme autant de variations ou de récits possibles à partir d’une seule cellule gestuelle répercutée dans le corps de sept danseuses et danseurs. C’est beau. Peut-être un peu trop.
Galerie photo : © Rahi Rezvani
La formule lue sur Netflix nous traverse l’esprit : d’une esthétique léchée. C’est un peu ça, avec ces tailleurs pantalon-gilet gris impeccables. Et puis, décidément, quelque chose ne fonctionne pas. Cela vient-il de la musique de Johannes Brahms dont on a réuni deux œuvres, l’Allegro Non Troppo tiré de la Sonate pour violoncelle et piano N°1 en mi mineur opus 38 dite « pastorale » et l’Adagio Affettuoso en fa dièse majeur de la Sonate pour violoncelle et piano N°2 opus 99, écrite 24 ans plus tard par le même compositeur ? Car en effet, l’impression est celle d’une musique « Frankenstein » malgré la qualité indéniable des deux partitions tout comme celle des interprètes (Yo-Yo Ma et Emmanuel Ax). Est-ce pour cela que l’on perd le fil de ce qui pourrait être un récit chorégraphique, mais qui finit par ressembler à une démonstration imparable de technique virtuose, avec déploiements en forme d’éventail, lignes qui se diffractent, duos, trios et ensembles à l’unisson ? Il est d’une certaine façon dommage que Crystal Pite ne transmette pas aux différents ballets pour lesquels elle travaille la couleur et la profondeur, l’originalité extrême de ses œuvres composées pour sa propre compagnie comme Betroffenheit ou Assembly Hall que l’on a vues l’an dernier au même Théâtre de la Ville.
Beaucoup plus étonnante est la création de Christos Papadopoulos, Ties Unseen (Les liens invisibles). Seize danseurs forment un organisme vivant et mouvant, qui se déplace sans jamais vraiment se détacher les uns des autres, ni pour autant être un seul corps, encore moins une masse, ni même un chœur en mouvement façon expressionnisme allemand. Non. C’est autre chose, c’est un écosystème aquatique, à n’en pas douter, qui fait penser à des algues que la mer agite et remue au gré du ressac. Puis comme un banc de poissons dont les écailles brillent aux changements de directions, ils pulsent, se dilatent, se rétractent. Leurs bras flottent emportés par un mystérieux courant, leurs pas les dispersent ou les rapprochent silencieusement dans des unissons désunis absolument sidérants. Car si l’on croit voir un groupe ou un corps homogène, il n’en est rien. De micro-décalages permettent au contraire de tenir l’illusion de l’ensemble et d’un seul et même mouvement, car il faut que certains accélèrent ou ralentissent pour tenir la cohésion du groupe, le temps pour exécuter chaque geste n’étant pas le même que l’on se trouve au centre ou sur les bords.
Galerie photo © Rahi Rezvani
Ce flux continu, fascinant, vibratile à souhait et en un mot captivant, est composé de mille « millidifférences » qui fait miroiter cette structure organique apparemment parfaite ! Et l’on ne saurait trop remarquer à quel point les interprètes du NDT 1 sont extraordinaires pour réaliser une telle performance, dans laquelle jamais ils ne se lâchent, jamais ils ne se touchent, savent à quel moment impulser un tour, seul au milieu du flot, récupérer l’ensemble, accélérer en douceur jusqu’à une vitesse vertigineuse. Mais ils sont tout aussi exceptionnels dans le Crystal Pite. C’est du grand art chorégraphique.
Agnès Izrine
Le 23 octobre 2024, Théâtre de la Ville Sarah Bernhardt.
Ties unseen
Chorégraphie et scénographie Christos Papadopoulos
Musique Jeph Vanger
Création lumières Eliza Alexandropoulou
Costumes Marie Gestenberger
Assistant chorégraphique Georgios Kotsifakis
Répétitrice Francesca Caroti
Solo Echo
Chorégraphie Crystal Pite
Musique Johannes Brahms Allegro Non Troppo from Opus 38 in e-minor,
Adagio Affettuoso of Opus 99 in f-major,
Emanuel Ax et Yo-Yo Ma Sony Music Publishing
£
Lumières Tom Visser
Scénographie Jay Gower Taylor
Costumes Crystal Pite, Joke Visser
Répétiteurs Lucas Crandall, Emily Molnar Nederlands Dance Theater
Direction artistique Emily Molnar
Avec les danseurs du NDT 1 : Alexander Andison, Demi Bawon, Anna Bekirova, Jon Bond, Conner Bormann, Pamela Campos, Emmitt Cawley, Isla Clarke, Matthew Foley, Scott Fowler, Barry Gans, Ricardo Hartley III, Nicole Ishimaru, Chuck Jones, Madoka Kariya, Genevieve O’Keeffe, Paloma Lassere, Omani Ormskirk, Kele Roberson, Luca Tessarini, Theophilus Veselý, Nicole Ward, Sophie Whittome, Rui-Ting Yu, Zenon Zubyk
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