Création de « Quintette » : Entretien avec Jann Gallois
Jann Gallois signe une pièce pour cinq interprètes, centrée sur les relations humaines. Après l'Atelier de Paris, elle sera présentée le 9 décembre au Festival de danse de Cannes.
Danser Canal Historique : Quintette met en scène un groupe, une communauté. Après deux solos, un duo et un trio, le passage à cinq interprètes était assez logique. Seulement, quid du quatuor?
Jann Gallois : Le quatuor viendra, mais après! (rires) Quintette est aussi ma cinquième création, et j’avais donc envie de travailler avec cinq personnes, comme s’il s’agissait des cinq doigts de la main.
DCH : Les disputes répétées entre les danseurs qui font partie du spectacle, et qui sont interprétées avec une véracité absolue, sont-elles à l’image de l’ambiance au cours de vos répétitions ?
Jann Gallois : Pas du tout ! Tout est imaginé et écrit en vue du spectacle. L’idée était de travailler sur le manque d’écoute chez les gens. Il suffit d’observer le monde pour se rendre compte que personne n’écoute l’autre. Nous voulions transposer dans les corps la quête des êtres : Comment trouver une place à son égo ? Par contre, il y a une réalité linguistique car l’équipe est internationale et pendant les répétitions nous parlons souvent en anglais. Dans le spectacle nous mélangeons donc les langues.
DCH : Quintette parle donc de la difficulté à se mettre d’accord pour avancer vers un but commun ?
Jann Gallois : Complètement. Et par ailleurs, il y a des moments d’harmonie et de grâce dans le spectacle où les corps réussissent à construire des choses architecturalement complexes. Mais ensuite, ça dégringole parce qu’il y a encore quelqu’un qui n’a pas été suffisamment à l’écoute. Je veux aussi évoquer l’effet parfaitement humain qui fait qu’on reproduit toujours les mêmes erreurs parce qu’on ne prend pas le temps de faire un travail sur soi. C’est pourquoi la structure cyclique et la notion de répétition de Quintette sont très importantes.
DCH : Un autre aspect important me semble se trouver dans le va-et-vient entre deux états de corps et de conscience, entre une sorte de transe et le retour soudain à la réalité. Cette dualité s’exprime aussi dans des changements de registre gestuels soudains et inattendus.
Jann Gallois : En effet, il y a des phases presque oniriques et des moments que nous appelons « back to reality », où on revient brutalement à la réalité, suite à un « échec » d’un des interprètes. Ces basculements sont aussi un reflet de l’état du monde, entre guerre et paix. En même temps cela pose la question de savoir comment on vivrait un état de paix permanent. Je crois que les êtres humains s’ennuieraient.
DCH : Le titre renvoie aussi à une formation musicale. Peut-on voir les cinq danseurs comme cinq musiciens ou instruments?
Jann Gallois : Dans un quintette, les musiciens doivent jouer ensemble mais il arrive qu’ils n’entendent pas les autres. Les cinq danseurs incarnent la nécessité à construire l’harmonie, malgré leurs égos. Mais je ne veux pas être moraliste ou donner des recettes. J’observe le monde, c’est tout.
DCH : Vous assimilez la construction de la pièce à la musique de Steve Reich et au phasing. Quelles sont les parallèles ?
Jann Gallois : Le phasing est une source d’inspiration qui m’a permis d’écrire certaines parties du spectacle. Il a été popularisé par Steve Reich et Terry Riley dans les années 1960. Ce sont des polyrythmies qui se décalent très lentement dans le temps et produisent un effet hypnotique qui donne l’impression de voyager, ce qui correspond à la structure cyclique et répétitive dans certains tableaux de ma pièce. Toute la première partie est basée sur des principes mathématiques et donc très millimétrée. Mais la nature humaine, dans toute son étrangeté, reste au cœur du projet.
DCH : Vous avez cependant un rapport particulier aux maths et à la physique.
Jann Gallois : Je les aime beaucoup et je les ai étudiés jusqu’à un certain niveau, avant que la danse ne prenne le dessus. Mais je reste attachée aux calculs et aux petites équations…
DCH : La pièce ne demande pas d’investissements énormes en matière d’équipement technologique, et pourtant vous affichez la liste de coproducteurs la plus longue jamais vue pour une production de cet ordre, une demi-page de la feuille de salle !
Jann Gallois : En effet, parlons-en ! Le choix a été fait rapidement de ne pas avoir recours à une scénographie coûteuse. Les cinq corps sont en soi une belle scénographie. Mais les danseurs viennent de différents endroits: Maria Fonseca du Portugal, Erik Lobelius de Suède, Aure Wachter de Belgique et Amaury Réot d’Annecy. L’un des compositeurs, Grégoire Simon, vient de Berlin. Il faut donc les faire venir et les héberger, alors que les enveloppes de coproduction sont de plus en plus réduites. Donc il nous a fallu en trouver dix-huit pour boucler le budget et pouvoir rémunérer tout le monde correctement ! Un autre problème est que chaque enveloppe de coproduction correspond, en contrepartie, à des actions culturelles sur le territoire. C’est normal, j’aime les faire et j’y tiens, mais tout est une question d’équilibre. Quand il faut rendre ces services-là partout, le système touche à ses limites. On est absolument submergé et j’ai été proche du burn out. Mais c’est bien le nom de ma compagnie, Burnout !
Propos recueillis par Thomas Hahn, le 2 décembre 2017 au CDCN /Atelier de Paris
Spectacle présenté les 1er et 2 décembre 2017 au CDCN Atelier de PAris
Première française : Festival de Danse de Cannes, 9 décembre 2017
Diffusion :
13 et 14 décembre CDCN Pôle Sud, Strasbourg
16 décembre Théâtre Louis Aragon Tremblay en France
3 et 4 février 2018 Suresnes Cités Danse
13 et 14 février L’onde, Vélizy
24 février Les Hivernales, Avignon
29 mars au 4 avril Chaillot – Théâtre National de la Danse
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