« Chemical Joy » de Lenio Kaklea
Chemical Joy interroge la frontière entre plaisir et dépendance, en exposant les mécanismes chimiques qui régissent nos émotions, avec cinq interprètes de BODHI PROJECT. (compagnie de danse contemporaine basée à Salzbourg)
Chemical Joy se veut une pièce sur la jeunesse, et Lenio Kaklea l’imagine plutôt à la dérive, dans un monde saturé de produits et de représentations dérisoires, et se demande « Comment la société de consommation façonne notre quête de plaisir, souvent immédiat, à travers la musique pop, les réseaux sociaux, la mode, et d’autres stimuli. ». C’est pourquoi figurent sur le plateau toutes sortes d’objets censés s’adresser aux « jeunes » musique pop, clips, canette de sodas, cigarettes électroniques… De la fumée sort de la bouche des interprètes, donnant à cet ensemble une touche étrange venue d’ailleurs. Plus étonnant, leurs costumes assez moches, sortis tout droit de la fin des années 70’ début 80’, d’un sexy kitsch assumé. Cet accoutrement redeviendrait à la mode, paraît-il.
Galerie photo © Hugo Fidalgo
Après des marches à l’unisson appuyées – elles, très à la mode dans le milieu chorégraphique de nos années 2020 ! – un solo de Jaeger Wilkinson sort du lot. Avec ses bras aussi souples qu’infinis, son corps aux articulations surprenantes, et une coordination de l’ensemble absolument parfaite, il évoque une fluidité très animale, une façon de danser sans y penser étonnante. Après cet intermède la marche reprend d’autant plus insistante et rythmée, ajoutant un tour ici, un déhanchement là.
Et bientôt nous nous interrogeons. De quelle jeunesse est-il question ici ? Si la scénographie générale, les poses des interprètes, font penser à un monde interlope et une génération désenchantée, la gestuelle ressemble à s’y méprendre au modern jazz datant des mêmes années que les costumes. Lenio Kaklea étant beaucoup trop jeune pour avoir la nostalgie de cette époque, l’interrogation reste entière…
Jusqu’à ce que Baby One More Time (1998) de Britney Spears retentisse et que l’on s’aperçoive que cette chorégraphie ringarde n’est autre que celle de son clip. Voilà donc d’où vient cette esthétique pop décalée. Mais pourquoi donc assigner à cette « jeunesse » désabusée d’aujourd’hui une chanson qui date d’il y a 27 ans ? Une façon de prendre de la distance ? De dire justement que la génération Z n’est plus celle d’antan et que la société s’est dégradée ? Ou au contraire, est, malgré les apparences et la pression des réseaux sociaux, peut-être plus intéressante que la précédente. Voilà qui reste de l’ordre de l’indécidable. Car la suite de la pièce, où les interprètes se dénudent après s’être épuisés dans un mouvement continu, mi-jazz, mi cross-fit, n’est pas très attirante, ni séduisante et ressemble plutôt au célèbre vers mallarméen : la chair est triste, hélas !...
Agnès Izrine
Le 18 février 2025, Le Carreau du Temple. Festival Everybody.
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