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« Ce que le jour doit à la nuit » d’Hervé Koubi
Hervé Koubi présente Ce que le jour doit à la nuit à Suresnes Cités Danse, une pièce forte qui s'insére dans Cités Danse Connexion #2
Juste avant que le rideau ne se lève, Hervé Koubi vient nous raconter son histoire. Elle tient presque en deux mots : Hervé. Koubi. Un prénom qui lui fait croire à des origines bretonnes, un nom Koubi aussi mystérieux que des origines algériennes incertaines. Il demandera donc à son père qui sort d’un tiroir où tiennent toutes ses affaires une vieille photo jaunie, un gilet et un sarouel. Souvenirs d’un arrière grand père qu’il n’a jamais connu assorti d’une phrase : « Il n’a jamais parlé français, comme tous tes aïeux, maternels et paternels, il parlait arabe, nous venons d’Algérie.»
Comme le jeune garçon, héros ordinaire du roman éponyme de Yasmina Khadra, Hervé Koubi part à Alger en explorateur de sa propre histoire qui croise celle avec un grand H. Il y organisera en 2009 une audition, via les réseaux sociaux, grâce à laquelle il trouvera ses onze danseurs auquel s’adjoindra un Burkinabé rencontré presque par hasard.
Voilà pour l’histoire. La pièce, quant à elle, est d’une force hallucinante.
Commençant dans une ambiance de hammam, avec ses lumières chaudes et tamisées, qui pourrait imaginer que ses corps vaguement alanguis vont se lancer dans une danse à couper le souffle. Soudain les voilà lancés dans des sauts virevoltants, des courses prodigieuses, des chutes acrobatiques, des portés sidérants, avec des accélérations à faire frémir. Utilisant toutes les techniques, de la danse traditionnelle au hip-hop en passant par l’acrobatie, la danse contemporaine et même quelques sauts issus du classique, ils savent faire feu de tout, donnant à l’ensemble une couleur très singulière liée à la personnalité de chacun des danseurs dont la présence sur le plateau est peu commune.
Leurs corps ressemblent plus à ceux de lutteurs que de danseurs. Ils ont un poids, une épaisseur, qui donne à la danse une sorte de matière supplémentaire et à leurs mouvements aériens une puissance d’orage.
Quand ils traversent le plateau, ils nous communiquent leur impulsion comme une sorte de clameur profonde, ou semblent en marche dans une inépuisable migration. La lumière qui les éclaire d’un rayon intermittent les suspens dans leur attente, souligne une énergie qui se dilate avant qu’ils ne repartent avec la fureur d’un déchirement.
Il y a une sorte de bouillonnement dans l’air, provoqué par ce groupe d’hommes, solidaires, qui parfois se côtoient ou s’agglutinent comme les fauves dorment flanc contre flanc. Et soudain, d’un enchevêtrement naît un geste simple et sensible, des mains qui se joignent, des bras qui se croisent et une émotion surgit de ces corps enfiévrés et sculpturaux, brusquement délicats.
La musique qui mêle La Passion selon Saint-Jean de Bach à des compositions d’Hamza El Din jouées par le Kronos Quartet ou à de la musique soufi, nous fait traverser en même temps que la mer des traditions profanes ou sacrées d’orient et d’occident.
La fin qui nous fait retourner dans un bain oriental, surprend par sa puissance suggestive et charnelle, comme dans une vision inversée du plus célèbre tableau de Ingres.
Agnès Izrine
Du 24 au 26 janvier, Cités danse connexions #2 dans le cadre de Suresnes Cités Danse
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