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« Crocodile » de Martin Harriague

Ce délicieux duo de Martin Harriague créé au Temps d’Aimer la Danse 2024 est un vrai travail d’orfèvre chorégraphique et musical. Et une pièce sensible et subtile sur la rencontre amoureuse.

Il n’y a pas de crocodile sur le plateau, mais deux marimbas, et une sorte de stèle verticale devant laquelle Martin Harriague est assis. L’effet est somptueux, la scénographie parfaite. Bientôt, entre, de dos, Emilie Leriche, danseuse et chorégraphe franco-américaine, aujourd’hui basée à Göteborg en Suède.

Tout commence donc par ce duo de marimbas sur la partition de Simeon Ten Holt interprétée par l’Ensemble O, qui rassemble deux frères Julien et Stéphane Garin (comme quoi un duo peut en cacher un autre….) ! Intitulée Canto Ostinato, cette musique extraordinairement bien composée, délicate et douce, mélodique tout en étant répétitive induit déjà une sorte de tendresse dans le délicieux duo qui suit.

Photos : Stéphane Bellocq

Emilie Leriche et Martin Harriague se lancent donc dans un duo qui semble un peu gauche : la gestuelle oscille entre séduction et impossibilité. Les bras qui se referment agrippent du vide, les élans soudain s’évitent, les mains s’ajustent mal, les corps se désaccordent… Si l’on se prend à sourire de ces deux maladroits, qui se manquent de peu à chaque fois, il est indéniable que l’émotion amoureuse est au rendez-vous. Tous les signes y sont, mais ils n’arrivent ni à se toucher, ni à s’attraper, dans un ratage toujours magistral… Jusqu’à ce qu’ils arrivent enfin à s’effleurer, se frôler et se prendre par la main. Au début, timidement. L’un étant toujours de dos, quand l’autre est de face, avant d’arriver à se regarder dans les yeux et s’étreindre. Ces atermoiements, ou intermittences du cœur, ces gestes malhabiles, inattendus, d’une délicatesse folle, suivis de ces enlacements inextinguibles, voire inextricables, confèrent à l’ensemble un caractère beaucoup plus sensuel, voire passionnel et voluptueux, d’autant plus que le mouvement s’éloigne de tout stéréotype du duo d’amour.

Photos : Stéphane Bellocq

Le récit est merveilleusement porté par un travail chorégraphique exceptionnel. Tout tient aux moteurs différents du mouvement bassin, bras, épaules. La phrase est quasiment toujours la même, et la gestuelle se répète tout en se décalant et se déplaçant très subtilement dans l’espace, le temps et dans l’intention, à l’instar de la musique. Ainsi, le cercle que forment les bras d’Harriague peut se placer au-dessus des épaules, comme autour des mollets de Leriche. La phrase intiale peut se faire au sol, dans différents plans de l’espace, éloignée ou rapprochée. En partant du bassin, des épaules ou des bras, en se répondant comme dans un effet miroir, ou en se dissociant dans le temps, le rythme de la musique les obligeant, parfois, à s’écarter l’un de l’autre. C’est totalement hypnotique et habilement mené.

Quand enfin ils se rejoignent, pour danser enfin le duo main dans la main, - et a-t-on jamais vu duo plus érotique ? –  on s’aperçoit alors que le côté bizarre, voire un peu bancal du début, venait tout simplement du fait qu’il en manquait la moitié !

Très bien me direz-vous, mais quid du Crocodile ?

Eh bien, caché sous les eaux, il arrive subrepticement. Et quand on le voit, il est trop tard pour l’éviter. Comme l’amour.

Agnès Izrine

Vu le 7 septembre au Théâtre Michel Portal de Bayonne dans le cadre du festival LeTemps d’Aimer la Danse.

 

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