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Magda Kachouche : « La Rose de Jéricho »

Aux Rencontres Chorégraphiques, le deuil comme principe actif où éclate l’exaltante confusion des émotions.

La perte d’un être cher est avant tout, on en conviendra, source de deuil et de douleur. Cependant, cette vision occidentale et chrétienne, très univoque, monocorde et monochrome (voir achrome), est loin de convenir à toutes les sensibilités voire toutes les cultures. C’est peut-être en ce sens que s’expliquerait le show fulgurant qui accueille le public de La Rose de Jéricho, avec une Magda Kachouche endiablée en conférencière et show-girl, s’époumonant sur du rock algérien.

Alors, au nom de quoi une telle déflagration d’énergie méga-vitale nous parlerait-elle de deuil ? La chorégraphe, il faut le lui accorder, sait surprendre son public. Et l’emballer. La surprise est la vie, la mort est torpeur. Qui voudrait voir une pièce de danse empreinte de deuil où les cendres ne tenteraient point de briller ? Aussi la vie, cette grande surprise en soi, sera toujours plus forte que la mort, même avec en tête – et dans le corps de la chorégraphe – le trépas de son père, il y a plusieurs années déjà. On imagine le choc et qu’un spectacle aussi débridé n’ait pas été possible dans l’immédiat. Et au gré de ces révélations, on relira sans doute autrement sa création précédente, Chêne centenaire, où elle abordait, en compagnie de Marion Carriau, la vie dans les espaces-temps des écosystèmes, en performant entre les arbres du Bois de Vincennes.

La voilà face à la désertification et la mort des arbustes. Où le végétal peut se retrouver, en dernier retranchement, sous forme de rose de Jéricho, fleur du désert qui traverse le temps en se recroquevillant sèchement, dans un état de mort imminente sans fin, jusqu’à ce qu’un peu d’eau vienne la réveiller. Ce que cette Rose de Jéricho  vient nous rappeler kachouchement, c’est qu’au moment où la mort frappe, on peut être traversé par un tourbillon de sensations diverses et contradictoires qui font tourner la tête. Et Kachouche n’y va pas seule ni par quatre chemins. Au contraire, ce voyage sur les traces des roses de Jéricho se fait à quatre. Où le DJ Gaspard Guilbert devient un vrai personnage, aussi présent que les trois artistes chorégraphiques et autant porté sur les traces d’espiègles fantômes aux réminiscences vaguement sahariennes.

Galerie photo : Léa Mercier

Ensemble le quatuor amorce un va-et-vient entre l’ici-et-maintenant et l’au-delà, par eaux et encens, entre Occident et Orient, entre le sauvage et le gore, entre pleurs et consolation, douceur et sensualité, fête et tragédie. Il a rarement été aussi facile de se perdre dans une pièce, qu’on le veuille ou non. Dans ce tourbillon émotionnel, avec tout ce qu’il amène en matière d’énergie et de chaos, notre rapport au deuil se joue au second degré et le titre pourrait ici être the show must go on, le show étant cette vie moderne où tout le monde se donne en spectacle. Mais alors, la mort et le deuil seraient-ils devenus spectacles à leur tour ?

Thomas Hahn

Le 16 mai 2024, Le Pavillon, Romainville, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

Distribution :
Conception Magda Kachouche
Collaboration artistique et interprétation Gaspard Guilbert, Magda Kachouche et Alice Martins
Création sonore Gaspard Guilbert
Création lumière et régie générale Bia Kaysel
Création costumes Alexia Crisp Jones assistée d’Augustine Salmain
Collaboration à la dramaturgie Arnaud Pirault
Collaboration à l’écriture chorégraphique Marion Carriau
Accompagnement vocal Elise Chauvin

 

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