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« The Way Things Go » : Christian Ubl et le cours des choses
La condition humaine, vue dans le miroir déformant d’un ballet ludique et désopilant, aussi absurde que mécanique.
Un événement déclenche un autre, une mécanique se met en route, bien huilée car bien préparée. Le film Der Lauf der Dinge (le cours des choses) de Fischli & Weiss de 1987 a servi comme point de départ à Christian Ubl pour une nouvelle création pleine d’humour et de facéties. Un petit retour sur ce court métrage n’est donc pas inutile. Dans un hangar, un improbable amas d’objets en ferraille, bois caoutchouc etc., tous issus de la vie quotidienne, rencontrent des liquides, des flammes ou autres invités surprise.
Dans cette réaction en chaîne, tantôt mécanique, tantôt chimique, tout est prévu, et pourtant imprévisible, tout contient son potentiel d’élévation comme de destruction, et est pourtant risible. Parmi les questions posées par ce duo d’artistes on trouve celle de savoir si le hasard existe. Et on ajoute celle de savoir si l’esprit ludique des enfants peut capter l’essence du monde tel que l’humanité l’a construit.
L’effet papillon
Et si tout était finalement imprévisible ? Et si un événement minime pouvait s’intensifier presque sans limites ? Christian Ubl s’intéresse autant au fameux effet papillon théorisé par le météorologue américain Edward Lorenz. Cette théorie de transmissions énergétiques et du passage de cause à effet fut popularisée dans les années 1980 autour de la question à savoir si le battement d’aile d’un papillon pouvait déclencher une tempête à l’autre bout du monde. Au lieu d’une transmission linéaire, il y a alors effet d’amplification, dans un système dynamique et hautement complexe.
L’affinement de la théorie du chaos déclencha l’évolution des modèles météorologiques. A très grande échelle, il s’agit d’une forme de modèle chorégraphique, opposé aux modèles linéaires et leur approche de la relation entre cause et effet, illustré avec tant d’ironie par Fischli & Weiss. Christian Ubl et les danseurs de TheWay Things Go réussissent la fusion des deux modèles, des deux mécaniques, des deux états d’esprit. Entre lignes ou cercles et bouillonnements apparemment hors contrôle, la transmission de gestes ne s’interrompt jamais et crée des transitions fluides, tout en jouant sur la suspension pour mieux déclencher les rires.
Galerie photo © J2MC - Photo
Le plaisir de l’instant
Quand mille événements chorégraphiques refusent de construire une narration ou un discours, alors les interprètes et spectateurs sont libres de profiter pleinement de la poésie et de la joie de l’instant, à la manière des enfants ou bien en amateur de danse pure. Le vocabulaire d’Ubl emprunte ici aux danses traditionnelles, au Bauhaus et aux danses sociales, créant sans cesse des effets de surprise au sein d’un modèle chorégraphique où les interprètes sont pris dans une mécanique, souvent linéaire mais globalement imprévisible, qu’ils ne cessent de déclencher. C’est ce qu’on appelle le burlesque…
Une chose semble cependant certaine : Le demi-cercle de boites blanches, posées au sol tel des dominos, finira par s’effondrer dans une réaction en chaîne de la chute. Et pourtant, elle ferait rire. Et la pièce serait terminée. L’inéluctable fait donc, inéluctablement, partie du cours des choses. Mais avant d’en arriver là, Ubl sait introduire des effets de retardement poétiques et désopilants, jusque dans la relation, également pleine de drôlerie, au batteur et compositeur électronique Romain Constant qui introduit ici le concept de batterie préparée.
Entre plaisir de l’instant et réflexion sur la part absurde de la condition humaine,The Way Things Go rend hommage à la danse et à l’enfance, déclenchant rires et réflexions en mode linéaire collectif ou selon le modèle rhizomique personnel de chacun. Créé au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence, ce petit ballet plein de suspense et de drôlerie, inénarrable et inépuisable, s’adresse à tous les âges, offrant un millefeuille d’entrées et de lectures, du rire enfantin aux théories scientifiques et visions philosophiques.
Thomas Hahn
Le 8 février 2024, Aix-en-Provence, Pavillon Noir
The Way Things Go
Conception et chorégraphie : Christian UBL
En collaboration avec les interprètes | Émilie Cornillot, Marion Dechanteloup, Hannah Le Mesle, Martin Mauries, Baptiste Ménard, Yoann Hourcade
Musique, composition & batterie préparée : Romain Constant
Espace : Claudine Bertomeu
Regard extérieur : Fabrice Cattalano
Conception costumes : Pierre Canitrot
Effets pyrotechniques : Bertrand Blayo
Création lumières : Jean-Bastien Nehr
En tournée
KLAP, Marseille, le 20 juin 2024
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