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Le « Boléro » à rebours de Gilles Verièpe
Créé au Pavillon Noir, le duo destiné aux jeunes ouvre aux adultes des voies insolites pour aborder le tube de Ravel.
Pourquoi le Boléro, voudrait-on demander à Gilles Verièpe : Parce que tant d’autres chorégraphes s’y sont mis ? Pour présenter Ravel aux enfants ? Ou pour jeter un pavé dans la mare ? Lui, ce qu’il veut, c’est « retrouver et partager le geste du jeu de l’enfance, ce jeu futile et essentiel qui permet à l’enfant de dessiner son monde, de transmuter ses peurs, d’y mettre à la place de la joie, du léger, de la facilité. » Aussi se met-il, avec sa partenaire de scène Yulia Zhabina, à jouer avec la musique de Ravel et avec la danse, avec les danses. Danses de cour, folkloriques, expressionnistes, pop et même butô…
Rembobiner le Boléro
Et il a une idée curieuse : Commencer par la fin de la partition pour en quelque sorte la rembobiner, jusqu’à son point de départ, pour ensuite se relancer dans la course folle des dix-huit sections musicales, jusqu’à l’abîme. Mais là où tout chorégraphe cherche le moyen d’épouser de façon personnelle le côté dramatique de la partition, Verièpe voit une invitation à s’amuser et la joie de vivre. C’est en soi un retournement, et pour partager les réjouissances, il choisit l’interprétation de la Philharmonie de Berlin sous la direction de Herbert von Karajan, « plus légère et joyeuse » que d’autres, selon lui.
Ce qui tombe bien (ou mal), c’est que le Boléro soit tombé dans le domaine public il y a peu. Car le résultat est qu’on l’entend encore plus qu’avant, et pas toujours pour de bonnes raisons. Mais qui se serait douté de le voir ainsi retourné ? Ravel lui-même, dans sa tombe, devrait s’en retourner… de joie ! La première partie du duo créé par les deux anciens du CCN d’Aix-en-Provence (lui au Ballet Preljocaj, elle au G.U.I.D.) commence par la séquence finale et remonte jusqu’au point zéro, jouant l’apaisement et le retour aux origines de la vie.
Plaisirs partagés
En partant de petites séquences joyeuses, de railleries et bouffonneries, de pas de bourrée, baroques ou pop, les deux vont petit à petit calmer le jeu pour entrer dans un univers nocturne et intime où l’on croise des figures grotesques et grinçantes. Et puis ils vont se rouler au sol en se reliant par les pieds et finalement rentrer dans le ventre maternel.
Mais ensuite, place au printemps, au réchauffement, à un Boléro qui va de l’avant et aux échanges avec le public qui se prête au jeu d’une chorégraphie partagée. Si la première partie intrigue les adultes par sa construction, la seconde ravit les enfants. Mais tout se partage. Les enfants adorent les danses espiègles pendant que Boléro s’apaise et ensuite, même leurs parents ne se laissent pas prier pour répondre aux danseurs en agitant leurs bras. Aussi ce duo est bien plus qu’un spectacle tous publics, et ce surtout par son approche de la partition de Ravel.
Galerie photo © Jean-Claude Carbonne
Le verlan musical de Ravel
Entendre le Boléro dans un decrescendo est une expérience qui en renouvelle l’écoute, voire le sens, offrant aux adultes une approche intrigante. Ravel insista sur une exécution dans un tempo invariable et sa structure répétitive avec sa ritournelle rappelle la rotation des astres . S’y ajoute ce crescendo, comme si on s’approchait du soleil pour s’y consumer. Mais, on l’a dit, Verièpe commence en inversant la vapeur ! On descend donc du chaud vers le froid, pour ensuite remonter, et comme par hasard la création au Pavillon Noir eut lieu juste avant le solstice d’hiver !
Mais l’inversion de l’ordre des dix-huit séquences de Boléro oblige tout de même à jouer chacune de son début vers sa fin. Dès lors, comment évite-t-on des ruptures ou autres soubresauts ? Pour arriver à une œuvre fluide « c’était en effet un grand travail de réécriture pour arriver à des liaisons lisses », confirme Verièpe qui a eu l’idée de ce travail sur le Boléro pendant les heures calmes du confinement. Mais c’est un membre de sa famille, le compositeur Lucas Verièpe qui a lissé les bouts pour relier les épisodes et leurs instrumentations. Le verlan musical ainsi peaufiné ajoute un autre niveau de lecture à l’œuvre de Ravel, ouvrant sur une histoire des saisons, de joie de vivre et de retour aux origines, aussi radieuse que philosophique. En somme, pas un Boléro, mais un Ro-lé-bo, ou bien même un Ro-lé-bo-lé-ro. Où l’on s’amuse… comme des gamins !
Thomas Hahn
Vu le 17 décembre 2022, Aix-en-Provence, Pavillon Noir (CCN Ballet Preljocaj)
Le 31 janvier 2023, La Manufacture CDCN Bordeaux, festival Pouce !
Chorégraphie Gilles Verièpe
Assistante chorégraphique Valérie Masset
Musique « Boléro » de Ravel, direction Herbert von Karajan
Arrangement et création musicale Lucas Verièpe
Interprètes Yulia Zhabina, Gilles Verièpe
Création lumière Vincent Goubet
Régie Lumière Paul Zandbelt
Costumes Arielle Chambon
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