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Le Mahabharata au féminin : « Until the Lions » à l’Opéra national du Rhin
La poétesse Karthika Naïr adapte l’épopée hindoue. Un opéra dansé, chorégraphié et mis en scène par Shobana Jeyasingh.
L’épopée du Mahabharata est une invitée de choix sur les scènes occidentales. De Peter Brook à Satoshi Miyagi en passant par le Théâtre du Soleil et Akram Khan, les manières de s’emparer de quelques morceaux choisis du plus long poème de l’humanité diffèrent par le style et la visée, situant ce monument de la culture hindoue au seul endroit qui puise lui rendre justice : l’héritage culturel de l’humanité. Aujourd’hui, il faut cependant se demander si une adaptation comme celle de Jean-Claude Carrière pour Peter Brook créée en 1985 n’aurait pas à affronter des procès d’intention en matière d'appropriation culturelle.
Ce n’est donc pas un désavantage quand l’équipe artistique inclut quelques patronymes du sous-continent indien. Par exemple, quand un chorégraphe se nomme Akram Khan. En 2016 celui-là nous avait présenté un remarquable Until the Lions, réminiscence d’un épisode clé du Mahabharata, dans un mélange de kathak, contorsion, ballet et danse contemporaine [Lire notre critique]. Mais il n’était pas seul à porter le projet. Le scénario était l’œuvre de la poétesse et écrivaine Kartikha Naïr. En 2015 la poétesse publia Echoes from the Mahabharata, où elle donne la parole aux personnages qui ne peuvent exposer leur point de vue dans l’épopée millénaire. Et on s’en doute, cela est avant tout le cas des personnages féminins, certes nobles mais néanmoins abusés, et souvent utilisés comme une sorte de monnaie d’échange.
Ce Until the Lions – à ne pas confondre avec la production éponyme aujourd’hui en préparation à l’Opéra national du Rhin – fut un trio accompagné de quatre musiciens et c’est Naïr qui en signa le scénario et les textes. La dernière représentation eut lieu en 2019. Aujourd’hui, une nouvelle production voit le jour, à Strasbourg et Mulhouse, avec une partition composée par Thierry Pécou qui donne à sa musique une valeur universelle, à l’instar de Peter Brook dans sa mise en scène historique. Le compositeur français s’explique : « Sans que cela soit exhaustif, ma partition utilise notamment certains aspects de la musique hindoustanie (de l’Inde du Nord) et du gamelan indonésien. Mais cette ‘utilisation’ sera souterraine et sans doute imperceptible. »
Répétitions - Galerie photo © Klara Beck
Pour l’Opéra national du Rhin et son ballet, Karthika Naïr adapte une nouvelle fois l’épisode autour du guerrier Bhishma qui enlève Amba, fille du roi de Kashi. Victime des jeux de guerre entre Bhishma et le prétendant d’Amba (il s’agit du roi Shalva), Amba se trouve, après moult péripétie, humiliée et répudiée par les deux parties du conflit. Ici les trois personnages principaux ne sont pas incarnés par des danseurs, mais par des chanteurs lyriques. Et au lieu d’associer à Amba et Bhishma le roi Shalva, Naïr donne la parole à la reine-mère Satyavati, belle-mère de Bhishma. Cette Satyavati n’est pas sans responsabilité dans le déroulement des événements, car c’est elle qui envoie Bhishma participer à la cérémonie du svayamvara au cours de laquelle les trois filles du roi de Kashi doivent choisir un mari à l’issue d’un tournoi. L’apparition de Bhishma change tout et lance la descente aux enfers d’Amba…
La création alsacienne d’Until the Lions en opéra dansé doit son existence à une idée d’Eva Kleinitz, qui dirigea l’OnR de 2017 jusqu’à son décès en 2019. A l’instar d’Akram Khan, Kleinitz était fascinée par l’ouvrage de Naïr. Sauf qu’à Strasbourg, ce n’est pas Akram Khan qui signe la chorégraphie. Le choix s’est porté sur une autre personnalité de la danse londonienne, Shobana Jeyasingh, artistiquement Commandeur de l’Ordre de l’Empire Britannique. Elle signe ici également la mise en scène et a collaboré par le passé avec la compagnie Random Dance de Wayne McGregor et la Rambert. Quant à Naïr, on la connaît déjà à travers Akram Khan pour lequel elle signa les scénarios de Desh et Chotto Desh. Mais elle est aussi productrice et a agi en tant que telle pour faire naître les pièces Babel (Words) et Puzzle de Sidi Larbi Cherkaoui !
Les danseurs du Ballet de l’OnR incarnent ici les guerriers des deux familles qui s’affrontent, mais sont aussi des extensions des personnages principaux chantés. Pour se fondre dans l’histoire et l’ambiance, ils ont reçu l’entraînement en arts martiaux du maître Saju Hari. Également danseur et chorégraphe, Hari a entre autres collaboré avec Shobana Jeyasingh et Akram Khan. Et si Hari, Jeyasingh et Naïr sont tous nés en Inde, les deux premiers vivent à Londres et Naïr à Paris, faisant de ce nouveau Until the Lions en même temps un antidote au Brexit. Beau retournement, comme dans le proverbe africain qui donne le titre aux deux adaptations de Karthika Naïr : « Jusqu’à ce que les lions aient leurs propres historiens, l’histoire de la chasse sera toujours racontée à la gloire du chasseur. » Remplacez donc « lions » par « femmes »…
Thomas Hahn
Strasbourg, Opéra
Dim. 25 sept. 15h
Mar. 27 sept. 20h
Jeu. 29 sept. 20h
Ven. 30 sept. 20h
Mulhouse, La Filature
Dim. 9 oct. 15h
Mar. 11 oct. 20h
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