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« Le Rythme, une révolution ! Émile Jaques-Dalcroze à Hellerau »
Musicien suisse que le hasard a fait naître à Vienne, Émile Jaques-Dalcroze (1865-1950) est, aussi et surtout, le fondateur de la gymnastique et de la danse rythmiques qu’il élabore dès le début du siècle dernier. Sa méthode s’adresse en premier lieu aux instrumentistes professionnels mais finit par renouveler totalement la danse, aussi bien dans sa pratique que dans sa transmission, voire dans son esthétique.
La méthode
Au conservatoire de Genève, il enseigne l’harmonie à partir de 1892. Sans s’y référer clairement, il suit la méthode expérimentale de François Delsarte, considérée de nos jours comme la source de la danse libre et de la modern dance issue de Denishawn. Suivant la coutume japonaise et la « dress reform » qui s’imposera bientôt dans la haute couture d’une Vionnet ou d’un Poiret, Jaques-Dalcroze demande à ses élèves de se déchausser et de revêtir un simple maillot pour pouvoir traduire avec aisance, et par le geste, le rythme musical. Derrière son piano, il les encourage en chantant et stimule leur imagination avec des images comme les ailes d’un aigle, les flammes, l’amphore ou bien des verbes d’action comme ramasser une pierre, répandre des fleurs au sol, brasser l’air avec les bras.
En 1907, il déclare à un journaliste : « Le rythme doit être parfaitement intériorisé, de sorte qu’il puisse être exécuté sans effort, même s’il n’a pu être anticipé. Dans mon système, dès qu’un mouvement est automatique, j’en ajoute un autre qui va avec le précédent et ainsi de suite.
Le tempérament « de feu follet » de Jaques-Dalcroze, son manque de ponctualité, la mise en scène du corps heurtant les mandarins de l’institution calviniste, il se voit obligé d’ouvrir son propre studio pour y prodiguer son enseignement. Son but dès lors peut s’accomplir, qui est, d’après Irène Corboz-Hausammann, « de faire du corps tout entier une oreille. »
Pointe aussi chez ce pédagogue d’exception un objectif d’art-thérapie. La gymnastique et la danse sont susceptibles d’être correctives en soignant les maux de la civilisation nés de la perte du contact naturel, signalés par ce qu’il appelle l’arythmie. L’enseignement est très prisé par ses élèves. Les galas, l’organisation de festivals, les tournées, les articles de presse, sans parler du lien d’amitié avec le scénographe Adolphe Appia fondent une réputation qui excède les cercles musicaux et dépasse les limites helvétiques.
La danse d’expression
En 1910, les concepteurs de la première cité-jardin allemande qui doit s’ouvrir à Hellerau, un quartier ouvrier de Dresde, font appel à Jaques-Dalcroze pour diriger une école modèle, bâtie à son attention, et y introduire la rythmique de façon officielle. Suzanne Perrottet, fraîchement diplômée à Genève, suit son maître dans cette nouvelle aventure. Elle jouera un rôle déterminant dans la naissance de la danse moderne européenne en transmettant la technique dalcrozienne aux danseurs agrégés autour de Rudolf Laban au Monte Verità. Mary Wigman suivra elle-même l’enseignement dispensé par Jaques- Dalcroze à Hellerau.
La danse dite d’expression, quelque peu différente de la danse expressionniste, est née de l’utopie communautaire d’Ascona et, pour ce qui est de la nature proprement dite du mouvement, de la méthode et de la pratique telle que professée à Dresde.
En ce sens, la danse nouvelle européenne est d’origine suisse, ce qui ne veut pas dire neutre. Certes, au départ du moins, le message dalcrozien ne se soucie pas des questions formelles relatives à la modernité, comme le souligne Françoise Dupuy qui préfère utiliser le mot Gestaltung (mise en forme) à celui de Gestalt (forme) pour caractériser l’éveil, le perfectionnement et la maîtrise gestuelle par sa conscience rythmique.
N’empêche : Nijinski, après sa visite à Hellerau en 1912, impressionné par cette conception nouvelle de la danse, travaille avec une autre élève de Dalcroze, Marie Rambert, à une œuvre en préparation pour les Ballets russes, et pas n’importe laquelle : Le Sacre du printemps, sur la partition de Stranvinsky. Œuvre qui fera scandale pour la danse et, surtout, pour les audaces polyrythmiques du compositeur.
L’ouvrage Le Rythme, une révolution !, publié il y a quelques années en Suisse, permet de se faire une idée claire de la réforme dalcrozienne et de l’influence de son instigateur sur les avant-gardes du XXe siècle.
Nicolas Villodre
Le Rythme, une révolution ! Émile Jaques-Dalcroze à Hellerau, Genève, Slatkine, 2015
Photographies provenant de la Bibliothèque de Genève