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« Don Juan » de Johan Inger pour Aterballetto

La compagnie italienne présente un ballet contemporain vif et théâtral, pimenté à la graine freudienne. 

Johan Inger, loin de nous être inconnu depuis ses créations pour les Ballets de Monte Carlo [lire notre critique] et sa Carmen pour la compagnie nationale de Madrid, signe une pièce grand public avançant sur un fil narratif qui va de bout en bout et reprend certaines notions de base de la psychanalyse, incontournable tarte à la crème freudienne. Des environ cinq cent visions et variations sur Don Juan dans la littérature mondiale, Inger et son dramaturge Gregor Acuña-Pohl ont étudié une cinquantaine et donc un grand nombre d’approches du personnage. Il en résulte un Don Juan détonnant mais solidement argumenté qui permet aux seize danseuses et danseurs de la compagnie italienne Aterballetto de montrer une belle maîtrise du geste chorégraphique qui se marie avec grand talent au jeu dramatique.

Don Juan a-t-il une mère ?

Don Juan (Saul Daniele Ardillo) va mal. Il prend de l’âge et n’a toujours pas résolu le problème fondamental de sa vie, une crise grave enfouie dans son inconscient, quelque chose d’indicible qui le lance à la poursuite d’un fantôme, celui de sa génitrice. Abandonné par sa mère pendant son enfance, Don Juan cherche à combler un vide abyssal et est incapable de s’engager dans une relation stable. Seul l’instant compte, sa détresse profonde est impossible à consoler. Ses conquêtes obsessionnelles chez le sexe opposé ne sont finalement que la recherche d’une relation mère-fils, saine et épanouie. Monsieur latin lover apparaît donc parfois comme un jouet des femmes, petit garçon en quête de tendresse et facile à manipuler à son tour, qui se venge ensuite pour reprendre le dessus. 

Mais les femmes n’y sont pas forcément les victimes. « Chacune y trouve ce qu’elle cherche : Zerlina une dernière aventure avent le mariage, Tisbea l’illusion de mener je jeu érotique, Donna Ana la passion et le plaisir que son mari Ottavio ne sait lui donner. Don Juan s’adapte à ses femmes... » dit Johan Inger. Cette lecture du mythe est influencée par une pièce de théâtre de la dramaturge belge Suzanne Lilar, publiée en 1946 dans un esprit féministe, où Don Juan est la victime de ses conquêtes, selon Gregor Acuña-Pohl, le dramaturge de cette production. A partir de cette vision, l’idée d’Inger et Acuña-Pohl n’est pas de se rallier à la mouvance #metoo. Le banc des accusés reste libre, même si c’est justement ce mouvement sur les média sociaux qui a suscité l’intérêt d’Inger pour le personnage. « Je pense que c’est stimulant d’essayer de le connaître et peut-être, de l’expliquer », dit-il. Freud à l’appui, c’est chose faite. 

Galerie photos © Laurent Philippe

Leporello, alter ego

Connaître Don Juan, cela ne se fait pas sans faire connaissance avec Leporello (Philippe Kratz) qui sort ici du rôle de serviteur zélé et incarne la face cachée de Don Juan, à savoir sa volonté à construire les relations équitables et durables que l’inconscient du séducteur empêche d’exister. Pas de moralité, est-ce à dire : pas de statue du Commandeur ? Presque. « Un Don Juan sans ce personnage ne sera jamais un vrai Don Juan », dit Acuña-Pohl. On retrouve donc bien un Commandeur, mais sous forme d’apparition de la mère (Ina Lesnakowski) qui ira jusqu’à se substituer, dans le fantasme de son fils, à son ultime conquête, Inès, une collégienne (Arianna Kob) en plein acte sexuel. 

Cette scène résume à elle seule l’écriture dramaturgique de la nouvelle production d’Aterballetto. En tirant sur des ficelles un peu grosses mais en revanche toujours intelligibles et efficaces, tout le monde s’y retrouve sans avoir à demander le mode d’emploi, ce qui n’est pas fréquent dans les réinterprétations chorégraphiques de classiques littéraires ou romantiques. Pour une fois, en sortant de la salle, tout le monde sait de quoi il parle. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Et la musique ? Si les conquêtes de Don Juan correspondent aux personnages du Don Giovanni de Mozart, la partition électronique de Marc Alvarez s’inspire, dans les premiers mouvements, de la partition de Gluck pour le Don Juande Gasparo Angiolini, mais s’en libère assez vite. Dans ses ambiances variées, elle accompagne au plus près les personnages dans lesquels se croisent toutes les époques et styles chorégraphiques.

Aussi, le Don Juan d’Aterballetto n’est pas sans cacher quelques liens avec le répertoire, quand Elvira, désespérée, se trouve au bord d’une crise de folie à la Giselle ou encore quand Don Juan tire les ficelles à la manière d’un Rothbart lors de la grande fête carnavalesque pour conquérir Donna Ana (Ivana Mastroviti). Se pose la question du prochain objectif de Johan Inger, après avoir revisité la femme fatale (Carmen) et maintenant l’homme fatal car visiblement il prend plaisir et est à l’aise avec les histoires d’amour fatidiques. Alors, Faust ? Le Lac ? Shakespeare ? 

Thomas Hahn

Vu le 14 octobre à Chaillot Théâtre National de la Danse

Chorégraphie Johan Inger 
Musique Marc Álvarez
Dramaturgie Gregor Acuña-Pohl 
​Scénographie Curt Allen Wilmer (AAPEE) avec EstudiodeDos 

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