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Kaori Ito est-elle un effet spécial ?
C’est bien l’effet qu’elle fait, dans Plexus. Mais Aurélien Bory, son metteur en scène de chorégraphe, et avant tout son scénographe, insiste : « Non, il n’y a aucun effet spécial. » Pourtant, ce solo est truffé de phénomènes qui mettent la rétine humaine en porte-à-faux. Le mystère règne.
Jamais l’image d’Ito n’apparaît « en clair ». Toujours brouillée, toujours codée. De fines membranes faites de lamelles verticales tranchent chaque apparition de la danseuse-acrobate. C’est la transposition spatiale de la découpe temporelle d’un mouvement par le stroboscope. Mais ici, l’œil du spectateur se perd complètement. Par rapport aux multiples membranes (mais combien sont-elles ?), Ito n’est apparemment ni devant, ni derrière, ni traversée par elles. Ses appuis sont immatériels, mais pas irréels.
L’œil du spectateur tente de suivre, de décoder, de trancher: Qu’est-ce qui bouge dans l’espace ? Juste les aplats lumineux ou le rideau tout entier ? C’est finalement le plateau lui-même, suspendu et donc mobile. Suspendu comme Ito elle-même qui peut tenir, telle une marionnette, dans des positions précaires et improbables. À d’autres moments, elle se dissout sous nos yeux pour se transformer en Sylphide. On compte au moins deux effets de disparition à la Méliès. Ne reste d’elle qu’une robe flottant dans les airs, fortement secouée par ailleurs. Un spectacle sans effets spéciaux, vraiment ? Quand Ito descend des cintres, avec tous les effets de brouillage visuel survenus jusque-là, on la prendrait volontiers pour un hologramme.
Il faut y croire pour le voir. Voilà ce qu’on constate face à la danse d’Ito, tantôt robotique, tantôt éthérique mais rarement charnelle. Quand elle se fait avaler par la fente d’un tissu géant, s’agit-il d’une transformation en kami shintoïste ? D’une disparition dans le cratère du mont Fuji ? Ou d’une inversion de Courbet, façon « origine du monde »? On pourrait tout aussi bien apercevoir, derrière ses multiples ascensions, des motifs chrétiens.
Qui est cette Kaori Ito, d’abord promise au ballet japonais, ensuite passée par Alvin Ailey pour devenir rapidement interprète de Decouflé et Thierrée, sans oublier ses collaborations avec Preljocaj et Cherkaoui ? Bory, fondateur de la Cie 111, a tenté de créer un portrait à la fois artistique et humain de la pétillante Japonaise, qui révèle ici aussi bien des états d’angoisse qu’un imaginaire de légèreté, d’ascension et de dissolution. Le résultat est donc un portrait en creux, dressé par des questions plutôt que par des réponses.
Plexus n’épouse pas seulement la formidable capacité d’articulation qu’on aime tant chez Ito, mais aussi sa veine acrobatique. Normal, direz-vous, puisque Bory, fidèlement soutenu par la Fondation BNP Paribas, ne cesse de créer avec des collectifs circassiens à travers le monde. Mais en plus, il va ici sur le terrain du grand débat actuel dans la mise en scène/scénographie autour de l’image. Brouiller, faire disparaître, jouer avec le néant pour mieux révéler, mieux se faire désirer. Car de plus en plus, le jeu consiste à nous embrouiller en nous menaçant de devoir constater que ce que nous croyons voir est en train de nous filer entre nos cillements. Sans parler de toute la dialectique réel-virtuel qui est en train d’avaler nos repères épidermiques. Quand le mystère japonais se double de la beauté des technologies numériques, et inversement…
Thomas Hahn
Jusqu'au 17 novembre 2014, Théâtre de la Ville Les Abbesses, Paris
Avec Kaori Ito
Conception, scénographie et mise en scène Aurélien Bory
Chorégraphie Kaori Ito
Composition musicale Joan Cambon
Création lumière Arno Veyrat
Plateau et manipulation Tristan Baudoin
Sonorisation Stéphane Ley
Costumes Sylvie Marcucci
Recherche et adaptation Taïcir Fadel
Construction décor Pierre Gosselin
Machinerie Marc Bizet
Régie générale Arno Veyrat
En tournée
28 mars 2014 > 29 mars 2014
SEVILLE (Espagne) - Teatro Central
03 avril 2014 > 12 avril 2014
TOULOUSE - Théâtre Garonne, scène européenne
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