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Mais où est donc passé Marius ?
Le grand chorégraphe français Marius Petipa est né il y a deux cents ans. Zut, on a oublié de souffler les bougies !
Jeudi 27 septembre, c’était soirée de gala à l’ambassade de la Russie à Paris. En association avec l’Unesco via le Conseil international de la danse, la Fédération internationale des compétitions de ballet - qui regroupe toute la galaxie des grands concours mondiaux de Varna au Youth America en passant par Lausanne -, célébrait le deux centième anniversaire de la naissance de Marius Petipa. La commémoration se prolongeait le lendemain par un colloque organisé par les mêmes instances à la Maison de l’Unesco, au cours duquel des invités majoritairement russes présentaient l’œuvre du chorégraphe et son apport décisif à l’art du ballet. Quelle que soit la qualité diverse de ces manifestations, force est de leur reconnaître un mérite essentiel : exister.
Car dans les lieux hexagonaux dédiés à la danse, hormis en début d’année une exposition à l’intérêt certain mais à l’ampleur limitée, Marius Pepita, l’étoilement d’une œuvre, organisée au Centre national de la Danse à Pantin à l’initiative de Laurent Barré, on cherche vainement, sauf erreur, la moindre trace de cet anniversaire.
La Belle au bois dormant - Galerie photo © Laurent Philippe
Faut-il rappeler, pourtant, que Marius Petipa est né en France, le 11 mars 1818 à Marseille, fils d’un maître de ballet et cadet d’un frère, Lucien, qui deviendra étoile de l’Opéra de Paris ? Certes, il a par la suite fait l’essentiel de sa carrière de chorégraphe au sein du Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg. Certes, son héritage n’a longtemps été connu en France que très partiellement - et curieusement toujours via des étrangers -, grâce d’abord aux Ballets russes qui donnent notamment Giselle en 1910, dans la version Petipa, et La Belle au bois dormant (en 1921), puis dans les années cinquante par les tournées en Europe du Kirov et du Bolchoï.
Giselle - Ballet de l'Opéra de Paris - Galerie photo © Laurent Philippe
Il faudra attendre 1960 pour voir l’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris d’un premier ballet de Petipa dans son intégralité, Le Lac des cygnes dans la version Bourmeister. La Belle au Bois dormant entre au répertoire en 1974, seul Casse-Noisette, (version Etcheverry) dans une version en deux actes est à l’affiche depuis 1947 (avec une version intégrale en 1948, vite abandonnée) et un relookage de Michel Rayne en 1965.
Casse-Noisette - Ballet du Bolchoï - Galerie photo © Laurent Philippe
C’est ensuite Rosella Hightower qui programmera en 1982 un Casse Noisette, (chorégraphié par Hightower en collaboration avec Karol Armitage !) avant que dans les années qui suivent, Rudolf Noureev n’entreprenne de faire entrer au répertoire sa propre relecture de quelques chefs d’œuvre, de Raymonda à La Bayadère ainsi que tous les autres ballets déjà cités.
La Bayadère - Ballet du Bolchoï - Galerie photo © Laurent Philippe
Cette connaissance tardive et parcellaire serait-elle une raison suffisante pour faire l’impasse sur la commémoration de celui que la chercheuse Sylvie Jacq-Mioche qualifie de « père de George Balanchine et grand-père de William Forsythe », et de « chaînon prépondérant pour l’histoire de la danse du XXe siècle » ? Pareil trou de mémoire est-il compréhensible quand l’art de Petipa est non seulement patrimonial, au sens large du terme, mais encore inséparable de ce ballet classique dont la France s’enorgueillit d’être la patrie ?
Le Lac des cygnes - Ballet de l'Opéra de Paris
Comme le rappelait Aurélie Bergerot dans le très instructif livret de l’exposition du CN D, certains des grands ballets de Marius Petipa, Le Lac des cygnes, Casse-noisette, La Belle au bois dormant et Don Quichotte - on pourrait ajouter La Bayadère et Cendrillon - sont devenus des « marronniers » du répertoire, que ce soit dans leur version Noureev ou dans une relecture plus contemporaine. Et bien que, dans les dernières saisons de l’Opéra de Paris, leur place se soit singulièrement restreinte - de trois reprises annuelles à une seule en moyenne -, ils demeurent les chouchous du public, en particulier de tous ceux qui veulent s’initier ou initier leurs enfants au « classique ».
Cendrillon © Laurent Philippe
A elle seule cette popularité intacte aurait pu assurer à leur auteur un minimum de reconnaissance et de visibilité dans la programmation 2018-2019 des théâtres nationaux. Cet « oubli » serait-il un effet du discrédit et de l’image de ringardisme dont souffre depuis plusieurs années la danse académique ? Rien d’étonnant, dès lors, que seuls les Russes, fidèles à leur réputation de conservatisme, puissent avoir l’idée d’honorer celui qu’ils considèrent comme « leur » grand chorégraphe et dont ils déclarent avec émotion : « C’est notre tout »…
Le Lac des cygnes - Ballet du Bolchoï © Laurent Philippe
Dommage ! Car cette occasion manquée eut pu être, chez nous, l’opportunité de s’interroger sur la place qu’occupe aujourd’hui cet art classique dans notre héritage, et sur celle que lui réserve notre modernité. Une réflexion particulièrement d’actualité au moment où la plupart des grandes compagnies se posent la question du répertoire, de la grammaire esthétique et des formes de son renouvellement. Et si, dans cette problématique, le Français Marius Petipa apparaît moins glamour que l’Américain Jerome Robbins, dont la prochaine série de représentations de l’Opéra de Paris fête (à juste titre !) le centenaire de la naissance, il n’en est pas moins tout aussi essentiel.
Isabelle Calabre
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