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« Hand to hand » de Roser López Espinosa
Le « mano a mano » ou empoignade de judokas est la trame chorégraphique de cette pièce baptisée en anglais, signée Roser López Espinosa, créée en 2014 à Rotterdam, donnée en primeur en France aux Plateaux de La Briqueterie.
L’auteure, initiée au contemporain par la MTD (Ecole supérieure d’art d’Amsterdam), interprète chez les Catalans Àngels Margarit, Cesc Gelabert et Pere Faura, bénéficia des moyens de production de la Conny Janssen Danst-Danslokaal #2 et des Dansateliers rotterdamois pour mettre au point cette pièce « hybride » (comme on dit de nos jours), relevant de l’art martial en même temps que de celui de Terpsichore – la notion de « performance » autorisant et le dépassement sportif et l’élargissement basique ou langagier de la danse.
Depuis une petite année, elle et Magí Serra remplacent les créateurs du duo, la Suissesse Olive López et le Néerlandais Stein Fluijt. Comme tout(e) artiste de son temps, Roser doit connaître son Duchamp et son Debord sur le bout des doigts et savoir ce que ready-made ou détournement veulent ou peuvent encore dire.
Du coup – mais tous les coups sont-ils permis, en art martial ou en art tout court ? –, elle y va sans complexe, passant du kung fu au judo. L’art de Bruce Lee lui a appris la self-défense et donné confiance et contenance dans son métier de meneuse d’hommes (et de femmes). Les deux pièces de kabuki récemment vues à Chaillot ont montré que l’art du combat a une fonction diégétique dans le spectacle opératique oriental et que leurs interprètes n’ont pas attendu la vogue occidentale récente (et passagère, peut-on penser) de l’interdisciplinarité pour se mettre au chant, à la pantomime, au sabre, à l’acrobatie.
Les pièces mélodramatiques japonaises dont s’enticha le public européen autour de 1900 et dont quelques bandes filmiques gardent trace présentent des scènes de lutte, de duel de samouraïs et de seppuku obligé. La danseuse préférée de Rodin, qu’avait promue Loïe Fuller, Madame Hanako, s’en était fait une spécialité, comme le prouvent les films Pathé tournés par elle en 1913, La Petite Geisha et L’Honneur d’une Japonaise. L’art martial et celui, noble, de la boxe anglaise ont aussi fait l’objet de parodies cabaretières parfois adaptées à l’écran – par Chaplin, Keaton ou Tati. Et d’œuvres célébrant dignement, sérieusement, admirablement le judo, comme Sanshiro Sugata (1943) d’Akira Kurosawa.
Roser López Espinosa respecte le judo. Elle nous en restitue l’esprit et aussi la lettre. Elle insiste sur la part de rituel à laquelle plus personne ne prête grande attention, l’intérêt étant reporté sur l’issue du combat, et donc sur le résultat sportif de celui-ci. Elle dilate le temps, amortit chocs et chutes, sans alentir la gestuelle. Ils se serrent la ceinture, au sens propre. Avant d’en venir aux mains, les deux adversaires passent un certain temps en salamalecs ; ils se saluent poliment et baissent humblement la tête face au public. Ils font des courbettes, en veux-tu en voilà, révérences, des accroupissements, des génuflexions, des prosternations. Les corps restent un bon moment ainsi, intacts.
Puis les regards se durcissent, avant les musculatures. Les mouvements de la judoka en kimono bleu et ceux de son duettiste vêtu de blanc se synchronisent, deviennent symétriques puis miroitants. Une scie musicale de Tchaïkovski lance l’affaire – une valse romantique du même la conclura. Les batailleurs, après vingt minutes de pugilat sont épuisés, hors d’état de nuire ou de combat. Les spectateurs n’ont pas senti ce temps passer.
Nicolas Villodre
Spectacle vu le 26 septembre 2018 à La Briqueterie dans le cadre des Plateaux.
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