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« The Last King of Kakfontein » de Boyzie Cekwana
Au Festival de Marseille, la nouvelle création du chorégraphe sud-africain surprend par sa liberté et sa maturité.
Au sol, des pneus de voiture et toutes sortes de figurines en papier, fabriquées dans une idée d’origami à l’africaine. Un groupe de musiciens en treillis, et un grand écran. Un leurre. On y verra surtout quelques lignes de texte. Où sont passés le délire ubuesque, la satire acerbe, la violence même que Cekwana nous avait annoncés ?
Cekwana change de ton, et c’est tant mieux. Il faut savoir surprendre. The Last King of Kakfontein est une pièce dépouillée, un concert chorégraphique et théâtral, et en même temps une conférence-spectacle. Avec Boyzie lui-même à la guitare basse, avec Madala Kunene à la guitare et la chanteuse Mandisa Nzama, alors que Lungile Cekwana règle le son et les projections.
Non, ce « Dernier roi de la fontaine à caca » n’est pas le théâtre politique burlesque que Boyzie Cekwana nous avait annoncé en amont. C’est sur ce mode farfelu à la Robyn Orlin (avec In case of fire, run for the elevator) ou très politique (avec The Inkomati (Dis)cord) qu’il nous avait dit bye bye il y a quelques années pour se consacrer davantage au travail avec de jeunes artistes du continent africain. Entretemps, il a changé, mûri et mené une réflexion profonde sur les présences et les énergies sur un plateau.
La danse par les pneus
Il était une fois, un jeune chorégraphe. Il nous revient en artiste accompli, sachant jongler avec tous les codes, dans un spectacle qui se joue des catégories et des formes. Dès qu’il prend la parole, Cekwana montre qu’il sait tenir la scène et son public, dans une simplicité confondante. Il pose sa guitare et prend le micro. Entre conférence auto-fictionelle et solo chorégraphique, Boyzie, décontracté au possible, nous plonge dans son enfance.
Les pneus sont l’agrès avec lequel les enfants de son Soweto natal s’amusaient et forgeaient leur dextérité et la souplesse du corps. Il nous parle de leur désir de liberté, des motos, du manque de conscience politique face au système de domination des états africains par l’Occident. Il passe du pneu-jouet à la chaîne de production et aux conditions de travail, dans une légèreté confondante.
Une danse qui en vient aux mains
La danse de Boyzie est d’une grande élégance, et elle s’exerce à partir des mains. Il nous montre, dans un tourbillon digne d’un derviche, ce que les mains des enfants peuvent apprendre à partir du jeu avec les pneus. Ca tourne à la vitesse d’une roue motorisée, mû par des poignets apparemment désossés. Plus tard, il pivote et tourne en se filmant. Son visage devient ainsi le seul point fixe sur un plateau qui se transforme en girouette. Et tout est dit sur la façon dont les Ubus de notre temps perçoivent le monde, sur l’inversion de la perspective, sur leur auto-centrisme et leur décalage par rapport au réel.
The Last King of Kakfontein est ainsi fait, de sobriété et d’intelligence, où tout se dit avec finesse et légèreté, jusqu’à la retraite finale, jusqu’au au discours royal, ou bien par un théâtre d’ombres qui rappelle les dessins de William Kentridge. Quelques onomatopées suffisent à Boyzie pour évoquer toute la folie du bouffon roi, dans son accoutrement bigarré. Il y a quelques années encore, Cekwana nous aurait fait un spectacle de clown aux tendances didactiques. Il n’en a plus besoin. D’artiste engagé, il est devenu un artiste dégagé, affranchi, libre. Un grand artiste.
Thomas Hahn
Vu le 8 juillet au KLAP à Marseille, dans le cadre de la 22e édition du Festival de Marseille
En tournée : Au Festival d’Avignon, du 17 au 23 juillet (sauf le 19), à 18h, Chartreuse de Villeneuve lès Avignon
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