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Le Groupe Grenade ravit « Alice » au pays des merveilles

Les jeunes danseurs formés par Josette Baïz offrent une vision collective et percutante de l’œuvre de Lewis Carroll

Si Alice m’était dansée... Elle aurait alors douze ou treize ans et se transformerait de pré-ado en femme, grâce à l’énergie de ses grands jetés au cours d’un bal, sous les yeux de la reine. Et ce serait merveilleux. Le pays où une telle chose peut se produire, c’est la Provence de Josette Baïz, où les jeunes de toutes sortes d’origines se croisent et se soudent dans leur passion pour une danse fulgurante, nourrie aux styles les plus divers.

Alice change de pays

Alice : Josette Baïz et le Groupe Grenade partent bien de l’œuvre de Lewis Carroll. Non sans raison, Baïz efface du titre le fameux Pays des Merveilles. Parce que de nos jours, les ados disposent déjà des pleins moyens technologiques pour s’évader vers un monde scintillant, plein de promesses et de merveilleux, loin d’une réalité qui paraît de moins en moins désirable. Oui, mais Carroll en son temps n’en disait pas moins.

Alors est-il nécessaire que l’histoire d’Alice donne aujourd’hui régulièrement lieu à des orgies scénographiques, alors que le livre original de Carroll était illustré en noir et blanc ? S’opposent alors des couleurs éclatantes et un autre univers, plutôt gris et terne, comme dernièrement dans une adaptation en spectacle musical produite par le Théâtre National de Londres, venu au Théâtre du Châtelet en juin 2016 sous le titre de wonder.land. Il est vrai que Josette Baïz aussi joue sur le contraste entre un univers gris (les costumes des garçons) et un autre, aux couleurs vives (les robes des filles). Mais le grand mérite de Grenade est d’avoir su se refuser à toute surenchère. 

Du slam comme chez Echyle

Un par un, les danseurs entrent en scène et s’adressent au public à la manière d’un chœur antique, avec les paroles du poète slameur Frédéric Nevchehirlian. Les filles évoquent leurs peurs, leurs colères... A la fin, c’est une Alice débarrassée de toute timidité qui prend la parole et fustige les adultes qui ne veulent pas la comprendre, qui l’accusent d’être trop pressée, de parler trop vite etc.: « Arrêtez de me mépriser! »

Baïz, loin de toute idée de comédie musicale, prend le parti opposé de wonder.land et mise sur une belle sobriété, grâce aux images vidéo de Dominique Drillot. Une seule de ses séquences fait référence à la réalité virtuelle, quand le lapin blanc se transforme en jouet électronique. Car Grenade ne parle pas d‘aventures dans un monde parallèle, mais d’une confrontation entre ados et adultes. Les images, subliminales et parfois abstraites, abordent la fuite, la chute vertigineuse (« Dans la chute, mon sang coule plus fort »), la mare de larmes et surtout la perte de repères comme des événements très réels.

Emotions réelles

La différence avec d’autres adaptations pour la scène est qu’ici les interprètes ont eux-mêmes entre 8 et 13 ans. Une différence de fond. Sur la forme, le storytelling chorégraphique diffère naturellement d’une adaptation narrative. Une bonne dizaine d’Alice font ici face à un nombre équivalent de garçons. Dans leurs costumes gris, ils incarnent à la fois l’autre moitié de l’humanité et une abstraction de l’autorité dont les adultes peuvent incommoder les jeunes filles.

Celles-ci dansent avec l’émotion réelle des fourmis au ventre, avec leur désir de s’emparer du monde et leur sentiment de perdition. Les garçons, eux, s’appuient sur une technicité moins émotionnelle, envoyant des clins d’œil au hip hop. Il n’est plus nécessaire d’insister sur la vivacité, la maturité ou la belle technique des jeunes de Grenade dont beaucoup font de belles carrières d’interprètes professionnels, après un passage dans la Compagnie Grenade. La réputation de ce travail de formation et de pratique de la scène déjà si professionnel n’est plus à faire, mais juste à confirmer. Dont acte.

Alice optimiste

Alice est une pièce qui va crescendo et culmine dans des tableaux d’une densité et d’une force révélant un potentiel énorme, à tous les niveaux. La transposition des situations fantasmagoriques vécues par Alice vers des situations chorégraphiques, vers l’adolescence d’aujourd’hui et vers le face à face danseurs-spectateurs permet à la danse, et à Alice, de s’épanouir pleinement et de saisir les métaphores de Lewis Carroll par la moelle et par les oreilles.

Au lieu d’illustrer le conte, le Groupe Grenade le libère et le dynamise avec le bonheur de jeunes danseurs qui se trouvent de mieux en mieux dans leur peau et leurs baskets. Pas de retour à la terne réalité ici, pas d’Alice apatride car privée de certaines rencontres avec tel chat ou telle chenille. Au contraire, ici règne la conviction de pouvoir changer le réel. Ensemble.

Thomas Hahn

Spectacle créé le 3 novembre 2016 au Théâtre du Merlan, Marseille

Vu le 1er avril 2017 au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Chorégraphie : Josette Baïz, avec la participation de Kanto Andrianoely, Julien Azilazian, Tom Ballani, Sinath Ouk, Stéphanie Vial

Interprètes : 23 danseurs du Groupe Grenade - Romàn Amiel, Siatadine Attouwia, Romane Auguet-Mancini, Sarah Benaïssa, Gaspar Bihannic, Nesrine Bouchama, Jossilou Buckland, Malou Chaumont, Clémence Gimié, Emma Giobbi, Sarah Green, Noa Ignacimouttou, Tony Ignacimouttou, Rose Itkin, Souhila Kari, Anthony La Rosa, Mathieu Louit, Samuel Malerbe, Marissa Maliapin-Chenard, Olivia Mari, Louis Seignobos, Lola Silly, Charles Valton

Scénographie et lumières : Dominique Drillot

Image 3D et vidéos : Dominique Drillot, Matthieu Di Stefani

Textes : Frédéric Nevchehirlian

Musiques : Jean-Jacques Palix, Robin Rimbaud - Scanner, Mathieu Maurice, Simon Serc - PureH

Costumes : Claudine Ginestet

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