Error message

The file could not be created.

Add new comment

Entretien Jean-Christophe Maillot

En plein Monaco Dance Forum nous avons recontré Jean-Christophe Maillot, l’occasion de faire un tour d’horizon de ses activités… Le festival se terminera en apothéose, du 28 décembre au 3 janvier avec la recréation de La Belle, avec Olga Smirnova et Semyon Chudin, étoiles du Bolchoï et de nouveaux costumes signés Jérôme Kaplan.

Danser Canal Historique : Nous sommes en plein festival. Est-ce vous qui vous occupez de la programmation du Monaco Dance Forum ?

Jean-Christophe Maillot : Je m’occupe de la programmation du Monaco Dance Forum avec Josu Zabala. Pour chaque édition, j’essaie d’avoir un panel le plus diversifié possiblie par rapport à la population monégasque, bien que l’on constate que c’est un public très ouvert. Donc j’essaie d’équilibrer le programme pour qu’ils aient la pssibilité de voir des formes de danse différentes, parmi ce qui se crée de plus intéressant. Souvent, nous coproduisons, surtout quand les artistes en ont besoin. Par exemple, sur des éditions précédentes avec Maguy Marin, ou avec Olivier Dubois. Parfois nous coproduisons mais nous ne présentons pas. C’est le cas de Tragédie, car je trouve que c’est bien d’aider les gens à monter leur création mais ça ne fait pas forcément sens de le montrer ici. En fait, je choisis le plus souvent de présenter des pièces les plus éloignées esthétiquement de ce que je fais ici. Afin que le public puisse avoir un regard le plus global possible. Par ailleurs, nous essayons de faire venir de grosses structures en coproduction avec le Grimaldi Forum, comme le Royal Ballet, le Ballet de Hambourg ou le ballet de la Scala de Milan. Mais en général, c’est toujours dans un souci d’actualité.

DCH : Comment choisissez-vous les artistes que vous programmez ?

Jean-Christophe Maillot : L’an prochain je vais faire revenir Momix. J’aime bien revoir des artistes un peu oubliés. Là, ils ont fait un dernier programme qui résume un peu toutes ses trouvailles. J’aime bien la dimension informative ou historique de certains spectacles. Mais pour en revenir à cette édition, je suis depuis un bon moment Sharon Eyal, tout comme Franck Chartier de Peeping Tom. Il n’avait pas encore présenté Moeder en France, c’était l’occasion. Parfais je programme aussi des personnes avec qui j’ai peut-être une idée de collaboration avec la compagnie. En tout cas, ça ne peut pas être une programmation spécifique, orientée. Je suis, d’une certaine façon, obligé de cumuler la programmation du Théâtre de la Ville, de l’Opéra et de Chaillot parce qu’il n’y a pas d’autres structures. Et naturellement, il y a aussi des coups de cœur. Quand on est seul, comme nous, si nous n’invitons pas d’autres structures, avec d’autres types de travaux, il y a un vrai danger, car la mise en perspective de ce que nous faisons n’est alors pas suffisante. Sachant tout de même que nos budgets ont été sévèrement amputés il y a cinq ans. À tel point que j’ai cru que la manifestation allait disparaître.

DCH : Quelle a été votre stratégie pour maintenir un tel festival ?

Jean-Christophe Maillot : J’ai eu l’idée de réunir le budget des trois structures : les Ballets de Monte-Carlo, l’Académie Princesse Grace et le Monaco Dance Forum. Désormais, le Monaco Dance Forum mène également un très beau travail avec les scolaires. Nous avons créé une cellule éducative, en collaboration avec le CREA (Centre de création vocal et scénique d’Aulnay-sous-Bois) et c’est Dominique Dreyfus qui s’en occupe avec Gaétan Morlotti. L’Éducation Nationale nous a donné deux heures par semaine dans chaque classe, ce qui fait que nous avons un vrai suivi sur des projets très précis. Nous avons formé tout un chœur d’enseignants pour une chorale. Les profs sont formés par le CREA et ils forment les élèves. J’ai rappelé deux anciens danseurs qui travaillent sur ces projets. Chaque année, ils produisent un spectacle. Nous avons des collaborations avec tous les musées de la Région, par exemple Chagall et Matisse à Nice. Le MDF a donc pris une forme plus interne et un peu moins tournée vers l’extérieur. Et j'ai eu la chance d'avoir toujours été soutenu par la Princesse Caroline de Monaco.

DCH : Vous collaborez beaucoup avec les musées…

Jean-Christophe Maillot : Nous organisons des événements en complémentarité avec le Nouveau Musée National de Monaco. Par exemple Christian Rizzo était là pour un colloque avec le Pavillon Bosio, école supérieure d’arts plastiques de la ville de Monaco.

Je collabore très bien avec eux. Comme c’est une école d’art consacrée à la scénographie, et que nous avons des jeunes chorégraphes, j’oblique ces derniers à travailler avec les étudiants du Pavillon Bosio. C’est une filiation. Mon père faisait ça quand il était professeur aux Beaux Arts de Tours. Il prenait toujours ses étudiants pour aller travailler au théâtre. Dominique Drillot, scénographe et créateur lumière qui travaille avec moi depuis des années a été l’un de ses élèves.

DCH : Qu’en est-il de l’Académie Princesse Grace ?

Jean-Christophe Maillot : L’Académie, c’est 45 élèves chaque année. Et mission est donnée à Luca Masala d’avoir une école pré-professionnelle. Tous les enfants trouvent systématiquement un engagement à la sortie. C’est formidable. Il faut dire qu’il s’agit d’une école particulière, nous allons chercher nos élèves, donc c’est vraiment une école sélective mais en aucun cas celle des BMC. Une vient d’entrer au Royal Ballet, une autre à l’English National Ballet et une petite chinoise au Mariinsky. L’avantage, c’est qu’ils sont peu nombreux, six ou sept par cours. C’est le côté exceptionnel.

DCH : Comment arrivez-vous à conjuguer toutes ses activités avec un seul budget ?

Jean-Christophe Maillot : Les trois structures ont un budget global d’environ 12 millions d’euros. Sachant que nous louons le théâtre quand nous nous y produisons et qu’ici, à l’Atelier, nous avons certes un atelier couture, mais les décors sont réalisés à l’extérieur, et que nous sommes totalement autonomes au niveau du fonctionnement du lieu. Je m’aperçois que, par rapport à une structure équivalente dans d’autres pays, par exemple le Ballet de Hambourg qui arrive en tournée avec 140 personnes pour 50 danseurs, nous fonctionnons plutôt comme une compagnie contemporaine. Et c’est tant mieux !

DCH : Vous avez un lieu magnifique, l’Atelier des Ballets de Monte-Carlo à Beausoleil qui réunit deux studios, dont un aux dimensions exceptionnelles, des bureaux fonctionnels, une petite salle de sport, le tout séparé par un puit de lumière. Ce sont des conditions idéales pour créer ?

Jean-Christophe Maillot : Je l’avais mis au contrat dès mon arrivée en 1992. À l’époque, on travaillait dans le petit studio Diaghilev de l’Opéra de Monte-Carlo, avec deux douches pour 50 danseurs… Et j’avais l’ambition d’avoir 1500 à 2000 m2, soit l’équivalent du CCN de Tours. Ce lieu était une ancienne usine qui appartient à la mairie de Monaco où ils stockaient diverses choses. Donc il était là, pas besoin de l’acheter. On a eu un architecte formidable, avec lequel nous avons travaillé sur les circulations. Nous n’avons même pas eu besoin de permis de construire. Le budget a été assez dérisoire. À tel point que le ministère de la Culture avait envoyé une équipe de préfiguration du CND pour voir comment on peut aménager un tel lieu pour aussi peu cher. Officiellement, il ne peut accueillir de public et c’est dommage. Par contre, les gens qui ont pris la carte du BMC peuvent assister aux répétitions publiques.

DCH : Pouvez-vous nous parler d’Aleatorio, votre dernière création ?

Jean-Christophe Maillot : Depuis La Mégère apprivoisée, créée pour le Bolchoï, je n’avais quasiment pas chorégraphié, sauf Presque rien, l’an dernier. J’avais sous-estimé l’énergie que ça m’avait absorbé. C’est le moment où Bernice Coppieters, Gaétan Morlotti et Chris Roelandt, auxquels mon travail était viscéralement lié, ont dû quitter la compagnie. Je traversais une période de doute et j’en arrivais à me demander si je ne devais pas arrêter, pour un temps ? La satisfaction de nourrir mon travail ne me suffit pas, et j’attachais plus d’importance à cet instant partagé où mon travail ne peut exister sans l’autre, qu’à la chorégraphie elle-même. Il y a des chorégraphes suffisamment fascinés par leur travail qui peuvent créer pour n’importe quel outil. Ce n’est pas mon cas. De plus, à 56 ans, mon corps ne pouvait plus répondre de la même façon… Or je crée à partir de mes improvisations. Chaque fois que j’imaginais une nouvelle pièce, c’était le vide total. C’est alors que j’ai pris du recul et pensé : attendons que le cerveau se remplisse de nouveau.

DCH : Comment avez-vous rompu ce mauvais sort ?

Jean-Christophe Maillot : J’ai réalisé avoir 75 ou 80 ballets à mon actif. Certains, sur lesquels j’avais beaucoup travaillé, avaient totalement disparu. J’ai réfléchi à comment je les vais construites et pourquoi je devais les reconstruire. Une de mes particularités était d’ancrer mes chorégraphies dans l’écriture musicale. C’était la source qui générait le mouvement. Je me suis alors remémoré une expérience assez étrange. Il y a une dizaine d’années, j’étais dans mon bureau où j’ai un retour vidéo du studio, tout en écoutant une musique qui n’avait rien à voir. Découvrir mon ballet sur une autre musique apportait soudain une distance passionnante. L’écriture chorégraphique débarrassée de ce lien, avait soudain le droit de respirer. J’ai alors compris que cette source fondamentale avait peut-être été une forme de prison et qu’un sentiment, non pas d’étouffement, mais de surabondance qui émanait de mon travail venait sans doute de là.

DCH : Qu’avez-vous fait alors ?

Jean-Christophe Maillot : J’ai donc décidé d’aller au bout de cette démarche pour voir si, en utilisant la dimension aléatoire tout en la réorganisant, ça pouvait générer un choc qui révélerait l’écriture chorégraphique d’une manière nouvelle.

Je suis donc revenu sur trois pièces de ces dix dernières années : Men's Dance (2002), Men's Dance for Women (2009) et Presque rien (2015), qui se ressemblaient beaucoup, avaient quasiment les mêmes costumes et le même thème, à savoir les rapports hommes/femmes. Les deux premières étaient sur la même musique de Steve Reich. Elle imposait une telle donnée rythmique que ça déshabillait la mélodie et produisait une structure chorégraphique forte mais redondante. J’ai substitué à Reich, un Concerto italien de Bach joué par Alexandre Tharaud. Et la troisième était sur une musique de Bertrand Maillot, mon frère, et je l’ai gardée.

DCH : Cela a-t-il été facile ?

Jean-Christophe Maillot : En fait, ça s’est révélé très compliqué. Ce qui produisait une distanciation énorme entre la vue et l’ouïe venait du fait que je regardais la danse sur un écran. Je n’avais aucun bruit des corps et des danseurs en mouvement. Cela créait une sorte d’apaisement sonore enrichi par l’écoute de Bach. Quand je me suis retrouvé en studio, ça n’avait rien à voir. J’ai donc eu l’idée de mettre à chacun des oreillettes qui leur aurait permis d’entrendre la composition de Steve Reich pendant qu’on diffuserait au public la musique de Bach… mais c’était irréalisable et on avait toujours le bruit des danseurs. Ensuite, j’ai appris qu’il existait une technique qui, avec un rayon laser, permettait d’isoler totalement un endroit d’un autre phoniquement. Cela semblait idéal de créer un tel mur de silence entre le spectateur et le plateau. Malheureusement, pour l’instant, on ne sait le faire que sur un espace très petit.

DCH : Quelle a été votre solution ?

Jean-Christophe Maillot : Du coup, je me suis attelé à réécrire la dynamique de la chorégraphie sans écouter la musique mais tout en devant le caler rythmiquement. Cela a fini par créer des décalages accidentels et des rencontres. Ensuite j’ai créé trois ou quatre sections totalement nouvelles. Et de ce fait, Presque rien, que je trouvais un peu violent, s’est adouci, s’est transformé en un rapport plus riche et plus complexe. Pour moi, cette façon de remettre sur les métier des pièces que j’avais crées peut-être de manière instinctive, consumériste, dans l’urgence, est une manière d’affiner mon travail, de prendre du recul pour comprendre les choses. Le résultat est assez étonnant et réjouissant.

DCH : Vous reprenez La Belle avec Olga Smirnova et Semyon Chudin, étoiles du Ballet du théâtre Bolchoï de Moscou. Ce sont des danseurs qui vous fascinent ?

Jean-Christophe Maillot : Ces nouvelles générations du Bolchoï ont une ouverture d’esprit, un sens du mouvement extraodinaire. Ce sont des Ferrari. Autant on disait il y a 20 ans qu’un danseur classique pouvait tout faire, ce qui est faux, autant il y a aujourd’hui une évolution fantastique chez les danseurs. Ils ont dans l’appréhension de la gestuelle, dans la perception, dans leur sens critique renouvelé totalement leur approche. Ce qui fait qu’ils sont totalement sortis d’un statisme académique. Ils sont capables de s’approprier une histoire. J’ai obligé les danseurs à avoir un texte, une idée littéraire dans la tête quand ils dansent. C’est ce que j’ai transmis à Olga et Semyon, et du coup, ils m’ont dit qu’ils ne dansaient plus Le Lac des cygnes de la même façon aujourd’hui. S’il n’y a que ça, je trouve que c’est déjà formidable !

Propos recueillis par Agnès Izrine

 

Catégories: