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« Spectres » de Josette Baïz
Dans Spectres, Josette Baïz ne réinvente rien - sauf elle-même, sauf le rapport entre danseurs et musiciens. Et c'est énorme. Cette commande du Festival d'Aix-en-Provence est la première collaboration du Quatuor Béla avec une compagnie chorégraphique. « Bernard Foucroulle m'a fait rencontrer plusieurs formations et j'ai porté mon choix sur le Quatuor Béla dont la manière de travailler m'a tout de suite enthousiasmée », explique Baïz. Et on la comprend immédiatement. Si les pièces de danse avec musiciens sur le plateau sont légion et toujours intéressantes, l'échange atteint ici une qualité inédite. Jamais les musiciens ne s'installent dans une position d'accompagnateurs. Ils produisent autant de surprises scéniques que les danseurs, participent à des unissons, des respirations chorales et des danses de couples. Ils se font assaillir et assument des portés et moments de séduction ou de désir.
Aussi, la danse partage ici avec les musiciens bien plus que le plateau. C'est la direction artistique en tant que telle, dramaturgie incluse, que Baïz a assumé dans un dialogue permanent avec les membres du Quatuor Béla: « Il y avait du répondant en permanence. Pour chaque idée venant de ma part, j'avais plusieurs propositions en face. » Aussi, les musiciens sont ici tout sauf des spectres. On peut comparer cette symbiose avec celle entre danseurs et chanteurs dans Cesena d'Anne Teresa De Keersmaeker, où les membres de l'ensemble vocal Graindelavoix se confondent totalement avec les danseurs, qui eux aussi chantent.
Dans Spectres, la porosité entre les genres est d'un même degré, et d'autant plus remarquable que les interprètes restent parfaitement dans leurs rôles. Au lieu de gommer les différences, celles-ci sont accentuées, volonté qui se traduit aussi dans les costumes. Blanc immaculé pour les danseurs, noir pour les musiciens, les deux se mélangeant à la manière des touches d'un piano.
Étonnamment intimiste, l'ambiance de Spectres est celle d'un rêve partagé. La danse n'a plus rien des ambiances théâtrales et parfois humoristiques des créations précédentes de Baïz pour Grenade, notamment Grand Hôtel et Gare Centrale. On y retrouve plutôt quelque chose d'un Jean-Claude Gallotta, dont Baïz fut l'interprète. Le spectre d'Ulysse pourrait ici surgir de quelque déhanchement individuel ou collectif ou d'un abandon très contrôlé. Mais on ne trouve pas de grandes envolées, les sauts se faisant presque sur place. Tout suggère un enfermement mental, tel qu'il correspond à des âmes qui errent dans des espaces parallèles.
Galerie photo : Cécile Martini
Dans leur transparence, les filles sont des Sylphides parfaites, mettant en évidence, de façon très contemporaine, que la danseuse de ballet porte dans son ADN artistique une part de spectre incontournable. Mais la musique est contemporaine, et le fruit d'une recherche approfondie sur les ambiances, les inquiétudes, les ouvertures de pièces très authentiques et emblématiques de quelques grands pionniers de la musique contemporaine comme Kurtág, Britten, Schnittke et, représentant d’une génération plus jeune, John Oswald.
Le spectre étant un phénomène qui hante la littérature et le théâtre, bien plus que la danse, Baïz a relu, avec les danseurs, des auteurs comme Poe, Wilde, Maupassant et autres classiques. L'inspiration a donné une danse d'un ressenti fragile et intime, travaillant le frisson de la rencontre, le doute du réel, la fascination d'une présence mystérieuse, sans stéréotype aucun. Tout est intérieur et authentique, dans un travail sur la lenteur qui exige une conscience parfaite de l'intensité de la présence. Avec les sept danseurs et les quatre musiciens, Baïz révèle une facette jusque-là inconnue et fascinante de son rapport à la danse et aux interprètes.
Thomas Hahn
En coproduction avec le Festival d’Aix-en-Provence et le Festival de Marseille - Danse et arts multiples
Spectres
Chorégraphie : Josette Baïz et la Compagnie Grenade
Interprètes : Aurore Indaburu, Axel Loubette, Géraldine Morlat, Rafaël Sauzet, Sinath Ouk, Anthony Velay
Musique : Quatuor Béla : Frédéric Aurier et Julien Dieudegard (violons), Julian Boutin (alto), Luc Dedreuil (violoncelle)
Production : Compagnie Grenade - Josette Baïz et Quatuor Béla
En tournée
19 février 2016, Les Hivernales, Avignon
30 avril 2016, La Penne sur Huveaune
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