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Maïa Plissetskaïa : La mort du Cygne

Elle était cygne jusqu’au bout de ses bras puissants et fluides, qui s’appuyaient sur l’air comme pour mieux prendre leur envol. Elle avait des frémissements palpitants, des ployés renversants, des déploiements hallucinants, des ondoiements de légende. Elle était à la fois Zeus et Léda – comme l’avait bien perçu Maurice Béjart, et l’autorité d’une souveraine. Elle s’est envolée définitivement le 2 mai 2015, foudroyée par une crise cardiaque à Munich où elle vivait avec son mari, le compositeur Rodion Chtchedrine.

Maïa Plissetskaïa est née en 1925 à Moscou d’une famille de l’intelligentsia juive, originaire d’une bourgade de Biélorussie pour Mikhaïl Plissetsky, son père, membre du parti, consul et ingénieur dans les mines de la concession russe du Spitzberg et de Vilna (Lithuanie) pour Rakhil Messerer, sa mère, actrice de cinéma muet.

La famille Messerer est déjà célèbre au Bolchoï. Assaf, fait déjà partie « de l’Olympe du ballet » en tant que danseur et pédagogue tout comme sa femme Sulamith.

La petite Maïa entre au Bolchoï en 1934. « En 1934, les candidatures étaient rares.Nous étions une trentaine, si ma mémoire ne me trompe. Certainement pas mille comme à présent. On ne demandait à la postulante qu’un physique adéquat, une santé robuste, de la musicalité – obligatoirement ! Le sens artistique naturel était particulièrement apprécié. Ce fut la modeste révérence que je dédiai à la commission d’admission qui décidé de ma destinée. »

Mais le destin de Maïa Plissetskaïa bascule le 30 avril 1937. Son père est arrêté lors des grandes purges staliniennes sous l’inculpation « d’ennemi du peuple » puis exécuté l’année suivante. Sa mère est déportée au Kazakhstan dans un goulag pour « épouses d’ennemis du peuple » avec son fils Azari âgé de 7 mois, puis envoyée en résidence surveillée à Tchimkent en 1941.

Elle est recueillie par Assaf et Sulamith Messerer qui se battent pour qu’elle n’aille pas à l’orphelinat.

Elle en gardera une aversion pour le régime soviétique qui ne lui épargnera, d’ailleurs aucune brimade, le  « casier » de ses parents la suivant tout au long de sa carrière. Elle sera longtemps interdite de tournée à l’étranger – et ce malgré que son talent soit tout de suite remarqué. Elle dansera pour l’anniversaire de Staline en 1949. Tétanisée. C’est finalement Nikita Kroutchev qui l’autorisera en 1959 à se rendre à l’étranger (sous haute surveillance) tout en continuant les affronts quand elle rentre en Russie.

Elle devient étoile du Bolchoï en 1960. Et en 1962, elle reçoit le titre très rare de Prima Ballerina Assoluta.

Elle dansera presque cinq décennies pour le Bolchoï qu’elle quittera en 1990 (elle a alors 65 ans !).

Son rôle fétiche restera celui du Lac des cygnes, qu’elle marquera de façon indélébile mais dont elle finit par être saturée : « je l’ai dansé : huit cents fois à Moscou sans compter les autres interprétations et versions que j’ai pu danser à l’Etranger.»

je l’ai dansé : huit cents fois à Moscou sans compter les autres interprétations et versions que j’ai pu danser à l’Etranger.

Pour moi comme c’était toujours la même chose, et qu’à la longue cela m’ennuyait prodigieusement, je le dansais chaque fois différemment selon mon humeur. Je changeais un détail des costumes, la façon de me conduire, un fragment de la chorégraphie. Je l’ai surtout dansé à l’époque de Khroutchev quand le rideau de fer s’est levé. Auparavant personne n’était autorisé à se rendre en URSS. Ensuite, tous les dirigeants du monde furent invités et nous les régalions avec le « Lac des cygnes » et bien sûr avec ma participation. Dans mon livre je relate comme Kroutchev s’écriait dès qu’il était averti de la visite d’un chef d’État :« encore le Lac des cygnes  - catastrophe ! » car il devait accompagner tout le monde. Il n’y avait pas que Khroutchev, moi aussi j’en avais assez. »

 

Elle brillera également dans Carmen, premier ballet à la sortir du répertoire classique qu’elle pourra demander à Alberto Alonso en 1967, car il est originaire d’un « pays frère ». qui sera violemment attaqué par la ministre Fourtseva pour deux raisons : non seulement il n’y a « que de l’érotisme » mais en plus « l’héroïne meurt à la fin ».

« À tous les ballets, raconte-t-elle, il fallait une fin heureuse. Par exemple, quand on préesentait des spectacles au Kremlin, il ne fallait pas danser  La Mort du Cygne en dernier. ».

Mais elle tiendra bon. D’autant que la musique est de son mari, Rodion Chtchedrine, son grand amour, rencontré en 1958 alors qu’elle dansait Spartacus.

 

Maïa Plissetskaya en répétition à l’Opéra dans Spartacus, vidéo INA

C’est seulement à partir des années 70 que l’étau se désserrera un peu et qu’elle pourra aborder des rôles qui l’attirent davantage comme La Rose malade de Roland Petit (1973), Isadora (1976) et Leda (1979) de Maurice Béjart.

« Seulement beaucoup plus tard j’ai eu l’occasion d’interpréter les chorégraphies de Maurice Béjart. J’ai dansé cinq créations de lui et cela me convenait bien mieux que le « Lac des cygnes ». Pour moi, il reste le génie absolu de la chorégraphie. » En 2005, à 80 ans, elle avait interprété au Kremlin Ave Maïa qu’il lui avait dédié.

Au cours des années 80 elle sera maître de ballet à Rome (83-84), puis à Madrid (88-90), mais avoue ne pas avoir un grand goût pour la transmission « Des danseuses qui font toutes la même chose » !

Pierre Cardin, rencontré par l’intermédiaire de Nadia Léger sera son fidè !le soutien et lui offrira plus d’une fois son « Espace » pour des tournées tardives à Paris, la dernière en date étant en 2006.

D’une beauté immarcescible, Maïa Plissetskaya a traversé la vie sans que l’âge ne marque ni son visage, ni son corps.

« Bien sûr le temps détermine la vision, et avec le temps le regard change mais il y a des choses qui ne changent pas comme par exemple la grandeur d’âme, la bonté, ce dont les gens rêvent et qui est très rare dans la vie. Moi, je suis née pour appartenir au ballet. » disait-elle en 2010, lors d’une de ses visites à Paris où un hommage lui était rendu.

On gardera d’elle l’image d’une étoile de génie. La légende continue.

Agnès Izrine

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