Danse en Place(s) : La belle Soirée Danseurs Chorégraphes
Il est rare de voir la danse prendre une assise aussi spectaculaire au cœur d’une cité. A Montauban, la place Nationale est surplombée d’un voile pour protéger les danseurs du soleil, exactement comme à l’Ecole des Sables de Germaine Acogny au Sénégal.
A Montauban aussi, les stages se suivent toute la journée. Danse en place(s) est donc un nom très à propos. En centre-ville, ils ont même une boutique à chaussures qui s’appelle Cendrillon, comme pour mieux accueillir, au cœur de cette édition, le Cendrillon du Malandain Ballet Biarritz. Alain Marty, le directeur artistique et ancien danseur de l’Opéra de Paris, est un grand ami du mouvement dansé sous toutes ses formes.
Aussi a-t-il composé une Soirée Danseurs Chorégraphes qui n’était pas avare en révélations ou joyeuses retrouvailles, avec six duos ou solos percutants et très variés, de la danse baroque au burlesque, en passant par des approches entre Hip Hop et mime. Et la soirée débuta par un hommage de Marty à Jackie Burvingt, la fondatrice du festival Les Synodales de Sens, décédée il y a sept mois. Peu connue du public, cette grande amoureuse de l’art chorégraphique et de ses jeunes talents, était également aimée des danseurs.
L’orage gronde, la pluie s’écrase sur Montauban et le rideau s’ouvre sur la seule pièce de la soirée à ne pas être interprétée par son chorégraphe. Curieuse exception, mais qu’importe… Deux danseuses bondissent sur place, comme pour frapper les trois coups d’ouverture. Ce duo de Davy Brun, créé pour deux hommes et ici adapté pour deux femmes, commence donc dans le style performatif actuellement en vogue. Ensuite, de beaux adagio contemporains, interprétés en grande complicité, sobriété et solidarité. Un changement de costume plus tard le flash-back enchaîne sur une vision moderne de la danse baroque.
Cet hymne à la liberté fut suivi des trois solos masculins racontant chacun une part de la condition humaine. D’abord Sidi Graoui, félin et bondissant, retraçant le passage de l’animalité aux attitudes de macho, de militaire ou d’hommes d’affaires, prenant à contrepied le rêve qui l’avait précédé. Ensuite John Degois avec son solo fondateur où il raconte, entre Hip Hop et autodérision, ses doutes et maladresses, et ce jusque dans son histoire d’amour avec une mystérieuse compagne qui l’éduque et le fait voyager. Elle s‘appelle ma carrière de danseur.
Après l’entr’acte, c’est Orin Camus qui prend la relève. Ce premier tableau de sa prochaine création est devenu un spectacle à part entière. Assis à un bureau, face à une pile de dossiers à traiter, un employé de bureau cherche sa danse. Sous des éclairages futuristes, qui deviennent un vrai partenaire de jeu, il s’étend dans un rêve d’évasion et d’apesanteur, comme s’il était le Monsieur K de Kafka, revenant un siècle plus tard. Aussi, les dossiers à traiter finissent en tourbillon...
Et comme s’il fallait lui indiquer le chemin vers d’autres sphères, arrive la Coréenne Sun-A Lee. Dans ses vibrations parfois microscopiques, chaque mouvement semble provoquer une décharge électrique. Son corps est traversé par une énergie entre Electro, contemporain et Popping. Le courant passe…
Et la conclusion fut inévitable. Après un duo de femmes, des solos d’hommes et de femme, voilà un couple homme-femme, burlesque et acrobatique qui met en scène la lutte de l’inconscient avec le corps réel de l’autre, avec la gravité terrestre, les désirs de chacun et nos petites faiblesses. Candelaria Antelo et Arthur Bernard Bazin sont encore au début d’un parcours, mais déjà un vrai duo burlesque qui traverse un formidable répertoire de chutes, de coups (in)volontaires, et de maladresses maîtrisées.
Conclusion: Il est rare de pouvoir suivre un tel programme de plusieurs heures sans se fatiguer. Et plus encore! Ce soir-là, au Théâtre Olympe de Gouges (appellation en hommage local à la célèbre Montalbanaise), le tonnerre, la foudre et la pluie frappèrent par deux fois, et ce aux débuts des spectacles de Davy Brun et de Sun-A Lee, donc précisément sur les deux propositions célébrant la beauté et le plaisir du mouvement dansé comme maître suprême du jeu chorégraphique. C’était comme si Jackie Burvingt envoyait un dernier salut à la danse.
Thomas Hahn
Œuvres présentées :
- Davy Brun : « A contre danse »
- Sidi Graoui : « Manimal »
- John Degois : « J’ai tout compris mais faut qu’on m’explique… »
- Orin Camus : « L’homme assis »
- Sun-A Lee : « Waves »
- Candelaria Antelo / Arthur Bernard Bazin : « Te odiero »
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