« Le Presbytère… » de Béjart en tournée française
Le Presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat… Ce postulat béjartien ( tiré d’une phrase du roman Le Mystère de la Chambre jaune de Gaston Leroux), émis pour la première fois en 1997, tient-il toujours ? À vérifier au Palais des Congrès du 4 au 6 avril, et en tournée jusqu’au 24 avril.
À bien y regarder, Le Presbytère… de feu Maurice Béjart est une histoire à tiroirs, et la pièce a largement le format d'en héberger plusieurs. En 1997, c'est au Théâtre national de Chaillot (tiens, ils programmaient déjà de la danse !) que le Béjart Ballet Lausanne crée officiellement son Ballet for Life, titre généralement oublié de la pièce. Gil Roman se glisse dans le personnage de Jorge Donn, alors qu’on trouve Gregor Metzger dans le rôle de Freddy Mercury. Metzger cède bientôt le costume de l’icône de la pop à Julien Favreau qu'on retrouve aujourd’hui dans le même rôle, alors que Gil Roman assure la direction artistique de la reprise.
C'est aujourd’hui Oscar Chacon qui reprend le flambeau d'un personnage traversé par Jorge Donn et Gil Roman à la fois, ce qui fait beaucoup. L'innocence juvénile qu'il met dans la balance correspond aux intentions affichées de la pièce, car Béjart entendait surtout parler de jeunesse et d'avenir. Par contre, il n'est pas sûr que Chacon, bien que Latino comme Donn, réussisse à son tour à marquer le rôle pour l'avenir. En revanche, Favreau porte le pantalon moulant en cuir rouge comme au premier jour. Et Gil Roman ne reste pas dans l’ombre. L’actuel directeur de la compagnie rayonne aux saluts, quand il présente sa troupe telle une icône de revue et de la pop à la fois.
L'histoire à tiroirs est surtout celle des coïncidences, non essentielles, mais trop belles pour ne pas les rappeler, à commencer par les origines du spectacle. S'il est construit telle une séquence de clips vidéo pour les songs de Queen, c'est un presbytère au-dessus du Lac Leman qui en est à l'origine, suite à la couverture du 33 tours Made in Heaven album posthume de Mercury qui met en scène la silhouette du chanteur devant le panorama très apprécié par Béjart lui-même. Interpellé par cette correspondance, Béjart se mit à réécouter l'œuvre de Queen et se rendit compte que le studio d'enregistrement, le Mountain Studio, se trouva non loin du lieu de travail du Béjart Ballet Lausanne, chemin du Presbytère à Lausanne.
En fouillant, on trouve également une dimension plus tragique du même jeu de coïncidences. Voilà une histoire de fin novembre, saison grise et mortifère s'il en est. Aussi, Mercury décède le 24 novembre 1991 et Donn le 30 novembre 1992 (tous les deux à 45 ans) et Béjart le 22 novembre 2007. Sans oublier Mozart (un 5 décembre) et l'assassinat de Versace, six mois après la première du Presbytère. Voilà qui suffit largement pour charger la mémoire d’un ballet qui rappelle que la vie ne va pas de soi.
Beaucoup de choses ont changé au cours des presque vingt ans depuis la création. L'amour n'est plus une arme à destruction massive, alors que la guerre tue de plus belle, si bien qu'on pourrait aujourd'hui revenir au point de départ, à savoir Jorge Donn en tant que Roméo, apostrophé par le Frère Laurent: "Faites l'amour, pas la guerre". C’était dans Roméo et Juliette de Béjart, en 1966. Le Presbytère peut donc continuer, puisque pensé dès le départ comme un hommage à l'envie de vivre, face aux forces destructrices de tout poil. Et c’est la raison pour laquelle le Ballet for Life n’est ni une pièce d'aujourd'hui, ni une pièce d'hier, mais une mise en scène de l'entre-temps, du temps des grands ravages du VIH à aujourd’hui, et plus encore des deux siècles, presque jour pour jour, qui séparent la mort de Mozart de celle de Mercury.
Cependant, le sida reste très présent au cours du spectacle, en images et même en écriture : Souffrance, Isolement, Douleur, Angoisse…. Les tableaux en blancs, à l’hôpital ou sur les champs de la mort, n’ont rien perdu de leur sublime terreur, mais le langage chorégraphique des corps de ballet béjartiens a besoin d’un maximum d’énergie pour frapper aujourd’hui encore. Aussi, l'émotion face aux linceuls est nettement plus forte à la fin, quand la mousse des jeux d’eau est encore présente pour donner une lecture joyeuse du blanc. Quand Mercury s’époumone pour clamer que The Show must go on, cela résonne comme une confirmation : oui, le spectacle de la vie continue bel et bien et Béjart peut encore nous émouvoir, surtout quand il parle de jeu, de joie et de jouissance.
Thomas Hahn
EN TOURNÉE
Du 4 au 6 avril, Palais des Congrès de Paris
Le 9 avril, Dijon
Les 11 et 12 avril, Lyon
Le 15 avril, Nantes
Le 18 avril, Rouen
Du 22 au 24 avril, Roubaix
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