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Entretien Carolyn Carlson

 

Carolyn Carlson nous présente  Now, la nouvelle grande pièce de Carolyn Carlson, qui inaugure sa résidence de deux ans au sein du Théâtre National de Chaillot.

DanserCanalHistorique : Carolyn Carlson vous êtes en pleine création de Now, à quelques jours de la première, que peut-on savoir de ce nouvel opus ?

Carolyn Carlson : La genèse de cette pièce est La poétique de l’espace de Gaston Bachelard. J’avais découvert ce livre il y a quarante ans, au moment où j’avais été engagée comme Étoile chorégraphe par Rolf Liebermann à l’Opéra de Paris. Nous répétions dans la Rotonde en sous-sol et John Davis, qui travaillait avec moi comme éclairagiste (il avait été aussi celui de Nikolaïs NDLR) avait acheté ce livre pour toute notre petite troupe du GRTOP, car il parlait du temps, de l’espace, du mouvement perpétuel…
Mais il parle aussi de l’intimité, il part du microcosme pour aller vers le macrocosme. Parce que nous vivons maintenant (Now), dans nos espaces, mais en même temps nous faisons partie de la nature.

DCH : Qu’est-ce qui vous a poussée à revenir sur ce livre pour cette création ?

Carolyn Carlson : Poétique de l’espace parle aussi de maisons, et dans Now, nous travaillons sur l’étendue de sens contenue par le mot et l’idée de la maison. Car notre maison, c’est d’abord notre corps. Donc la base de notre travail, c’est que tout est maison. Là, nous répétons la séquence de la forêt, et c’est aussi une sorte de maison naturelle. Dans le livre de Gaston Bachelard, il envisage toutes les occurrences de ce que la « maison » peut évoquer dans l’univers poétique. On a d’abord une maison primitive, un abri, et ça concerne aussi bien les premiers hommes – l’antre – que nos premiers mois – le nid – et c’est comme une protection, une coquille et sa famille est l’intimité. La maison est à la fois notre premier univers, elle est un cosmos.
Donc dans cette création on parle aussi d’espace intérieur. « La maison nous fournira à la fois des images dispersées et un corps d’image » dit Bachelard.
Mais c’est aussi le souvenir de toutes les maisons où nous avons trouvé un abri. C’est une rêverie du foyer. Refuges de notre imaginaire des maisons, recoins, greniers, caves, armoires, coffres, tiroirs… Nos souvenirs y sont logés.

Et puis, ce que j’aime dans Bachelard, c’est qu’il cite de très nombreux poètes et c’est très inspirant pour moi.

DCH : Pourquoi l’avoir appelée Now ?

Carolyn Carlson : Now c’est pour now. Maintenant. Ça signifie : quel est notre de degré de présence sur le moment, sur l’instant. Or aujourd’hui – maintenant – il suffit de regarder autour de soi, dans la rue, dans le métro, même en voiture, les gens ne sont pas présents à eux-mêmes, ils sont dans un autre monde, reliés à leurs téléphones, à un monde virtuel omniprésent mais pas dans une présence au monde. Mais ce n’est qu’une constatation.

Par contre, Now, pour des danseurs, c’est vraiment cette question de la présence car la danse est éphémère, elle vit et meurt dans l’instant où elle s’effectue. Car notre travail est en dehors du temps comme le rêve ou le souvenir. Hier ou demain n’ont pas de sens, c’est maintenant !

Mais ça concerne aussi l’actualité,. Parce qu’on n’est pas si heureux aujourd’hui. Et nous avons aussi un très beau texte, très fort qui est vraiment Now et qui suggère que chacun d’entre nous peut être heureux et sourire.

DCH : Nous sommes en pleine répétition et il y a de nombreux branchages, des feuilles, Now est-il aussi un constat ou une prise de position sur l’état écologique de notre planète ?

Carolyn Carlson : Là nous travaillons sur la section « forêt » et il y a des troncs coupés au sol, qui donnent un sentiment de tristesse. C’est un peu écologique mais pas vraiment. Dans la forêt on a évidememnt l’idée de la sauvegarde de l’environnement, et même de la planète, c’est sûr. Mais je ne tiens pas à imposer un sens, ou faire passer un message univoque. Mon travail joue plutôt sur la poésie, la poésie visuelle. Je dessine toujours ce que je suis en train de créer, je n’écris pas de partition. Quand j’écris, alors ce sont des poèmes qui deviennent éventuellement des recueils, mais pas de la danse.

DCH : Qu’avez-vous choisi comme musique pour Now ?

Carolyn Carlson : Now sera sur la musique de René Aubry. Je continue avec lui une histoire, depuis Slow Heavy and Blue, en 1980 à l’Opéra de Paris, mais c’est avec lui que j’ai aussi créé Blue Lady, ou Signes. C’est une vraie collaboration ce sont des créations originales pour chacun de mes ballets.

DCH : Avez-vous gardé la même équipe de danseurs pour votre arrivée à Chaillot ?

Carolyn Carlson : J’ai gardé les mêmes danseurs qui me suivent, pour certains depuis Roubaix, pour d’autres depuis beaucoup plus longtemps.

Je n’écris jamais complètement mes chorégraphies. C’est important pour moi de travailler avec les gens que je connais. Je travaille avec mes danseurs, nous mettons en commun notre imagination. Moi je donne les idées, et ils improvisent, nous sommes en famille ici. Tout le monde donne le cours à tour de rôle. Yutaka Nakata donne le cours de Taï Chi. J’aime beaucoup le Tai Chi et les arts martiaux qui sont en relation avec la nature.

Je crois beaucoup à l’improvisation. Quand j’ai créé Pneuma à Bordeaux, avec vingt-deux danseurs, j’ai commencé par ne faire que des improvisations pendant une semaine. Pour certains d’entre eux, c’était tout à fait nouveau et ils pensaient ne pas pouvoir y arriver. J’ai insisté, et bien sûr, ils ont réussi. La semaine a été intense, mais ensuite, quand j’ai commencé le travail chorégraphique, ils ont mieux compris ce que j’attendais d’eux. Personnellement, je ne peux pas commencer directement à chorégraphier. Il me faut un échange.

DCH : Vous avez contribué à apporter la danse contemporaine en France, et vous avez parallèlement à votre carrière de chorégraphe, eu un rôle de pédagogue très important, quelle place attribuez-vous aujourd’hui à la transmission dans votre parcours ?

Carolyn Carlson : Pédagogie, enseignement, transmission…. C’est une nouvelle mode ce mot « transmission ». J’ai fait ça toute ma vie. Dès que je suis entrée chez Nikolaïs à New York, j’ai donné des cours. Pour moi, il n’y a aucune différence entre chorégraphie et transmission. L’enseignement est très important, c’est la base. Surtout les principes de Nikolaïs mais avec la poésie qui m’est propre. Pour moi c’est fondamental, ça donne une profondeur, de l’esprit aux créations. Car on peut bien lire un livre théorique ou une partition, ça ne suffira jamais car le plus important c’est la relation maître disciple. Aujourd’hui, je ne sais pas combien de compagnies donnent le cours. Et c’est important pour moi.

Mais la transmission est partout, même au niveau du public. Quand des gens m’arrêtent dans la rue pour me dire merci parce qu’ils se souviennent de Blue Lady, c’est aussi une forme de transmission car c’est leur mémoire qui préserve ces instants fragiles. C’est dans la conscience de chaque génération qui passe. Pour moi, c’est un cadeau. Parce que ça m’intéresse de donner au public de l’émotion, une nouvelle perception des choses, de l’imagination.

DCH : Vous êtes artiste résidente pour deux ans au théâtre national de Chaillot. En quoi cela consiste-t-il ?

Je suis très heureuse d’être en résidence au théâtre national de Chaillot. Outre la création de Now, il va y avoir un focus sur une collection de mes films du 6 au 27 nocembre et une journée « Carolyn Carlson » le 6 novembre. Je donne aussi dans ce cadre une Master classe à l’Atelier de Paris en janvier. Et de très nombreuses interventions, des rencontres avec le public, avec les écoles, des impromptus dans le foyer, et un très beau projet avec la BnF. Mais aussi, des extraits de spectacles, des improvisations ou des « Short Stories » (représentations composées de plusieurs pièces, solos ou duos interprétés par les danseurs de la Carolyn Carlson Company). Notamment au Musée d’Art moderne (le 21 mai 2015 NDLR).

DCH : Vous avez traversé toute l’histoire de la danse contemporaine, quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’art chorégraphique ?

Carolyn Carlson : Quand j’ai commencé la danse, on en était encore à la Modern Dance. Et, en réalité, il y avait peu de compagnies. J’étais chez Alwin Nikolaïs, et il y avait également Martha (Graham), Merce (Cunningham) et ensuite Twyla (Tharp). Mais c’est à peu près tout. Aujourd’hui, on voit une véritable explosion de compagnies et de styles. C’est très différent, la danse est devenue très individuelle. C’est très intéressant. De plus, comme la danse contemporaine est pratiquée partout, chaque pays apporte sa pierre à l’édifice. Personnellement, je trouve les israéliens très forts. Quand j’étais à Roubaix, c’était surtout le hip hop qui proliférait. J’ai d’ailleurs travaillé avec Brahim Bouchelagem et je trouve que c’est un style qui a énromément évolué. La première fois que j’en avais vu c’était en 65/66 j’étais encore chez Nikolaïs et on commençait à voir du hip hop à Central Park à New York. Maintenant, on peut voir énormément de choses, du hip hop à la danse conceptuelle ou émotionnelle. Chacun a son style. Du coup, ça permet aussi de toucher un plus large public.

C’est aussi pourquoi j’aime être ici à Chaillot car Didier Deschamps a une programmation très diversifée, très riche.

 Propos recueillis par Agnès Izrine

Now au Théâtre national de Chaillot du 6 au 16 novembre 2014.

http://theatre-chaillot.fr/danse/carolyn-carlson/now#

Autour du spectacle

La Pensée à l’œuvre 7 mars et 11 avril
Films Focus sur la Collection Carolyn Carlson 6 au 27 novembre

NOW en tournée

2014
6 - 16 novembre 2014 : Théâtre National de Chaillot, Paris – 10 représentations
10 décembre 2014 : Le Radiant-Bellevue, Caluire – 1 représentation
18 décembre 2014 : L’Atelier à spectacle, Vernouillet – 1 représentation

2015
17 janvier 2015 : Théâtre de Béziers – 1 représentation
21- 22 janvier 2015 : Montpellier Danse Festival– 2 représentations
30 janvier 2015 : Le Colisée, Roubaix – 1 représentation
13 mars 2015 : Teatro Valli, Reggio Emilia (Italie) –1 représentation
15-16 mars 2015 : Teatro Alighieri, Ravenna (Italie) – 2 représentations

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