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Entretien Tânia Carvalho

Tânia Carvalho vient de créer à la Biennale de la Danse Weaving Chaos, un théâtre de danse baroque, grotesque et presque tragique. Petite conversation autour d'une errance de douze guerriers à la dérive, ponctuée des rires lumineux de la chorégraphe.

"Weaving Chaos" @ Michel Cavalca

 

Danser Canal Historique : En regardant Weaving Chaos, j'ai beaucoup pensé aux enfers de Dante. Mais l'errance d'Ulysse sur les rives d'Ithaque n'y est pas tellement étrangère, en somme.
Tânia Carvalho : (elle rit) Je travaillais sur Homère, mais bien sûr il fallait transposer ces états dans un langage chorégraphique. Je pense que la relation entre la danse et ce que je trouve dans l'Odyssée peut en effet changer la manière dont on imagine le livre.
Certains des danseurs viennent du ballet, ils ont passé de nombreuses années à travailler leurs mouvements jusqu'à la perfection. Puis ils ont vieilli et le corps est fatigué, le mouvement n'est plus aussi lisse, mais le désir de danser ne cesse de grandir, ce qui permet d'aller vers l'essence du mouvement, même s'il ne ressemble plus à celui d'un jeune danseur. J'ai comparé ça à Ulysse qui veut rentrer chez lui. Plus son errance se prolonge, plus il se fatigue, et plus son désir de rentrer devient irrésistible. C'est comme ça qu'il faut le comprendre (elle rit).

"Weaving Chaos" @ Michel Cavalca

 

DCH : Il y a aussi des accents d'expressionnisme, de baroque, de Renaissance...
Tânia Carvalho : C'est exactement ce que je recherche, à savoir des formes indéfinissables où chacun va trouver ce qui correspond à son parcours, son bagage. Ensuite je fais faire aux danseurs des choses dans un esprit totalement opposé. Ça crée par exemple une opposition entre une ambiance romantique et douce – j’utilise en effet des mouvements du ballet romantique – et des actions violentes, furieuses.

 

"Weaving Chaos" @ Michel Cavalca

 

DCH : Les personnages ont l'air un peu torturés, en effet.
Tânia Carvalho : (elle rit) Oui, parce que selon le texte, ils sont tout le temps fatigués, tout le temps en train de se battre pour quelque chose. Sans cesse quelque chose d'inattendu leur tombe dessus. Ils ne savent pas ce qui leur arrive ni où ils sont.
Ils se relayent au centre du plateau, sous un projecteur, comme Ulysse attaché au mât.
Il s'agit de créer une image pour évoquer une obsession, une idée fixe avec laquelle on se lève et se couche tous les jours.

"Weaving Chaos" @ Michel Cavalca

 

DCH : Nous sommes dans une histoire et un univers très méditerranéens. Mais le Portugal se situe à la périphérie occidentale de cet espace culturel. Vous sentez-vous Méditerranéenne ?
Tânia Carvalho : Je viens du nord du Portugal et me sens plus proche de l’Atlantique. Cette mer-là est tellement différente (elle rit).

"Weaving Chaos" @ Michel Cavalca

 

DCH : La raison de la hauteur des vagues, évoquées par la chorégraphie ?
Tânia Carvalho : Je passe de la gestuelle géométrique et angulaire d' Icosahedron à un registre plus sinueux, inspiré des vagues. La chorégraphie reflète la présence de la mer et des bateaux. Les costumes d’Alexander Protic vont d’une couleur sable à des tons plutôt rouges, car dans le livre, Homère suggère une mer couleur de vin.

"Weaving Chaos" @ Michel Cavalca

 

DCH : Vous aimez l’expressionnisme où l’idée de la mort est très présente. Comme ici…
Tânia Carvalho : Certes, la peur de mourir traverse l’Odyssée. Mais je ne pense pas beaucoup à la mort. Par contre, les gens qui voient mes spectacles m’en parlent souvent et se disent que je dois avoir un naturel plutôt sombre. Ce n’est pas vrai. L’idée de la mort est peut-être quelque part en moi, mais je ne la remarque pas. Je pense même assez souvent que mes pièces sont drôles. (elle rit)

 

"Weaving Chaos" @ Michel Cavalca

 

DCH : Comment est la situation pour les artistes au Portugal aujourd’hui ?
Tânia Carvalho : Elle était grave, mais aujourd’hui c’est pire ! (elle rit) Ça devient fatigant de devoir se bagarrer comme ça. Le pays ne croit plus en ses artistes ni qu'ils peuvent être utiles pour la société. On nous traite carrément comme des menteurs. Les problèmes économiques sont grands, mais les problèmes liés à la mentalité sont pires.

DCH : Voilà pourquoi vous ne cessez de rire? Je pense au dicton africain : Souris ! Demain sera pire.
Tânia Carvalho : Peut-être (elle rit)

Propos recueillis par Thomas Hahn
Weaving Chaos

Du 19 au 22 septembre, Les Subsistances, Biennale de la danse de Lyon

À suivre :
24 - 26 septembre 2014, à 20h30
Grande salle - Centre Pompidou, Paris

Chorégraphe : Tânia Carvalho
Danseurs : Anton Skrzypiciel, Allan Falieri, André Santos, Bruno Senune, Catarina Felix, Cláudio Vieira, Gonçalo Ferreira de Almeida, Leonor Hipólito, Luiz Antunes, Luís Guerra, Maria João Rodrigues et Petra Van Gompel — Assistant mise en scène : Pietro Romani — Texte : Bruno Duarte — Musique : Ulrich Estreich — Scénographie : Jorge Santos — Costumes : Alexander Protic — Lumières : Zeca Iglésias — Image promotionnelle : Jorge Santos — Production, diffusion : Sofia Matos

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