Entretien avec Fouad Boussouf
A la tête du Phare depuis janvier 2022, Fouad Boussouf a été renouvelé pour un second mandat. En quatre ans, il a revitalisé le Centre chorégraphique national du Havre grâce notamment à des pièces telles que Oüm, YËS et °UP qui ont rencontré un large public en France et à l’étranger. A l’occasion de la quatrième édition du festival annuel Plein Phare et avant les représentations parisiennes à Chaillot en décembre, Fouad Boussouf dresse un premier bilan de son travail au Havre.
Danser Canal Historique : Dès votre arrivée à la tête du Phare, vous avez impulsé un festival annuel et plutôt que de le présenter à la belle saison, vous avez choisi de le programmer à l’automne. Quel était votre projet pour ce temps fort qui s’étale sur deux semaines ?
Fouad Boussouf : J'ai voulu justement que ce soit en novembre et pour une raison simple : c'est un mois qui est un peu dark, pas très lumineux d’où le titre Plein Phare : mettre un coup de projecteur sur les artistes s'évader un peu, avoir cette lumière comme un moment d'évasion qu'on ne trouve pas nécessairement à cette période de l'année. Et puis accessoirement, c'est la période du mercato culturel et cela permet aux spectacles d'être vus par des professionnels. C’est pourquoi nous invitons des professionnels, mais nous faisons également en sorte que les publics se rencontrent et croisent les équipes artistiques. Il y a toute une partie des spectateurs qui découvre l'art chorégraphique lors de ce festival. Et je m'attache à varier les esthétiques pour toucher un maximum de personnes.
DCH : Il y a aussi tout un travail en amont du festival avec le jeune public et les scolaires, celui du Havre et de la région. Est-ce un marqueur de Plein Phare ?
Fouad Boussouf : Je crois très fort à ce travail d'éducation artistique et culturelle parce que j’ai été témoin de ce que ça peut apporter à de nouvelles générations, leur permettre de voir des spectacles, de rencontrer des artistes, de les sortir de leur zone de confort, que ce soit sur les écrans domestiques ou via les injonctions médiatiques. L'art sert, je crois, à ouvrir l'esprit et à penser autrement le monde. À titre personnel, grâce aux spectacles auxquels j'ai eu accès gamin, j'ai pu voyager, j'ai pu me déplacer dans ma façon de voir le monde. Pour moi c'était nécessaire.
DCH : Avez-vous pu monter en puissance depuis le premier festival et mettre en place ce projet ?
Fouad Boussouf : Oui tout à fait. En tout cas au niveau du territoire parce que s’est construit un public fidèle et que le lieu est bien identifié. L'audience a augmenté considérablement mais il reste à faire vivre aussi ce festival au niveau national car il n’a pas encore la visibilité nécessaire.
DCH : Après le festival Plein Phare un temps fort autour de YËS et °UP (lire notre critique) est programmé à Chaillot - Théâtre national de la Danse. Que représente pour vous ce lieu très marqué, très identifié ?
Fouad Boussouf : C'est toujours important de montrer son travail en tant qu'artiste, surtout à notre époque. Et il est vrai que la scène parisienne reste centrale car elle attire toujours beaucoup de professionnels, comme d’accueillir un public plus large. Il est important pour un CCN de rayonner loin de son territoire, même s'il n'est pas nécessairement facile d'être visible chez soi !
DCH : Les deux pièces seront présentées dans le superbe foyer de la danse du Palais de Chaillot avec cette vue imprenable sur la Tour Eiffel. Est-ce que vous appréciez ce contact avec le public hors de la salle de spectacle comme vous l’avez fait au musée du Quai Branly à Paris ?
Fouad Boussouf : Pour qu’un public le plus large possible soit concerné par la danse, il n'y a pas plus efficace que de se déplacer dans l'espace public. Là où les gens se rendent spontanément. Pour susciter auprès d'un public le désir d'aller au spectacle, il faut déjà le rencontrer. C'est-à-dire aller dans ses lieux de passage, qui ne sont pas nécessairement dédiés à la danse. Car pour décider d'aller assister à un spectacle chorégraphique, il faut en avoir une certaine connaissance. A priori notre travail n'est pas de sensibiliser ceux qui le sont déjà. C'est donc notre mission en tant que Centre Chorégraphique National de d'attirer l'attention d'un autre auditoire. Il y a un challenge artistique dans un lieu où les œuvres sont statiques, comme au musée du Quai Branly ou dans le décor de Chaillot, afin que celles-ci répondent à des corps en mouvement.
Galerie Photo YËS © Charlotte Audureau
Finalement, c'est l'espace qui modifie la circulation autour des œuvres. Comment rendre le mouvement alors qu'il est au départ contraint par l'espace et que le musée n'a pas été fait pour les danseurs mais pour des œuvres et leur histoire. Et ces artéfacts ont beaucoup à raconter, quelquefois via la danse. Cela génère également un croisement entre visiteurs et spectateurs. Ce qui suppose un nouveau type de rencontres.
DCH : Votre dernière création °UP sera également présentée à Chaillot. Elle met en scène un violoniste, Gabriel Majou et un virtuose du foot freestyle Paul Molina. Comment est née cette idée de conjuguer deux univers a priori très dissemblables : le football et le violon ?
Fouad Boussouf : Franchement pour cette pièce, j'ai raisonné en termes d'équilibre au plateau, un équilibre physique et un équilibre rythmique et musical. Et il me paraissait réducteur de limiter l’extraordinaire talent de Paul Molina avec le ballon. J’ai eu envie de le valoriser par une création originale. Je ne voulais pas que ce soit une performance pure, cela me semblait un peu limité. J’ai eu l’idée de le placer face à quelqu'un d'autre, faire un pas de côté sans mauvais jeu de mots. Et c'est ce que nous avons fait. Personnellement, j'adore le foot et quand j'étais gamin, j'aimais aussi jongler. C'était aussi un moyen pour moi de renouer avec l'enfance. Et le violon c’est aussi un instrument que j'affectionne particulièrement pour de nombreuses raisons. Peut-être qu’inconsciemment, j’ai voulu réconcilier ce qui est de l’ordre du populaire et ce qui est de la musique savante dans l'imaginaire collectif. Le violon fait partie de l’univers de la musique classique et qu'il percute celui du foot est aussi un défi : qu’un artiste aille là où ne l'attend pas, sorte un peu des sentiers battus mais sans aucune prétention. Je me suis fié à quelque chose de l'ordre de l'instinct. J'ai senti qu'il y avait une connexion possible entre eux deux, une connivence qui pouvait naitre même s’il n’y avait aucune garantie. Finalement, °UP parle des humains et de leur capacité à accepter l'autre. Et ça s'est fait de manière ludique parce que je crois que le jeu est profondément humain. C’est par ce biais-là que la pièce a été créée, ainsi que par des histoires plus personnelles. Car on peut déceler au cours du spectacle la figure du père ou la figure du copain. Moi je suis un éternel gamin !
Galerie photo © Christophe Raynaud de Lage
DCH : Cela va faire quatre ans que vous dirigez le Phare et vous avez été renouvelé récemment. Quel bilan vous tirez de ce premier mandat ?
Fouad Boussouf : Je suis d’un naturel heureux mais un éternel insatisfait qui râle toujours. Nous avons la chance extraordinaire de faire un métier dans lequel on s'épanouit. Mais j'ai toujours trouvé que mon métier était également difficile. Mais je préfère choisir l'aspect positif. C'était ma première candidature. Je n'avais pas d'expérience dans ce domaine et je n'avais pas trop d'idées de ce que ça pouvait être. Je n'ai pas été déçu parce que c'est intense. Les deux premières années, j'ai le sentiment que nous avon beaucoup travaillé et je dis « nous » parce que je ne suis pas seul. Il y a toute une équipe, des gens sur qui je peux compter et qui partagent les mêmes valeurs que moi. Il y a eu beaucoup de choses qui ont été faites. Mais comme je suis un perpétuel insatisfait, il y a encore de la marge…
DCH : Quel rapport entretenez-vous avec cette ville du Havre qui est très spécifique, très particulière dans l'imaginaire commun ?
Fouad Boussouf : J'ai vraiment choisi le Phare. Pour être honnête et très transparent, j'avais le choix entre la Rochelle et Le Havre parce que le deux CCN se libéraient quasiment en même temps. Je connaissais la Rochelle pour y avoir déjà travaillé. J’ai bourlingué au Havre que je ne connaissais pas avec mon vélo un peu partout pour découvrir la ville et j'ai senti quelque chose dans cette ville, une vibration et un truc très puissant. Je peux dire qu'elle est sous-cotée car elle a un potentiel artistique incroyable. Il y a quelque chose que j'appelle la scénographie à ciel ouvert, c’est une ville d'architecture avec une magnifique lumière. Les impressionnistes ne s’y sont pas trompés et c'est une lumière qui est changeante. On sent l'énergie d'un grand port, et de tout ce qui a trait à l'air et qui circule. C'est aussi une ville de voyage mais qui demeure un peu rude à plein d'endroits. Et ma danse, est aussi née dans le bitume. C’est tout cela que je retrouve au Havre.
Propos recueillis par Jean-Frédéric Saumont le 25 novembre 2025.
°UP et YËS à Chaillot-Théâtre National de la Danse du 12 au 20 décembre 2025.
En 2026, Fouad Boussouf présentera une nouvelle création intitulée Pothakudi inspirée du conte illustré Les Oiseaux électriques de Pothakudi de Joëlle Jolivet et Karthika Naïr. La pièce sera jouée du 15 au 18 janvier dans le cadre du festival littéraire Le Goût des Autres qui se tiendra au Havre.
Photo de preview : Boulomsouk Svadphaiphane
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