Catol Texeira, Mercedes Dassy, et Joachim Maudet, trois solos au festival Trajectoires.
Le festival Trajectoires de Nantes présentait trois solos audacieux réunis en une seule soirée Clashes Licking de Catol Teixeira, Spongebabe in L.A. (4 Love & Anxiety) de Mercedes Dassy et GIGI de Joachim Maudet.
Une créature suspendue dans les airs capte notre regard, enroulant et déroulant ses formes mystérieuses au sein d’une ombre propice, tandis que l’on entend des borborygmes ou des bruits de la forêt, batraciens ou oiseaux bizarres, et une musique qui, sans doute, rappelle à l’interprète et chorégraphe Catol Texeira, son pays natal, le Brésil. Cette danse aérienne, nocturne, distille une étrange étrangeté, d’une réelle beauté, avec ses éclairages qui soulignent son corps déréalisé par les positions qu’il prend, comme dé-figuré au sens propre du terme.
Galerie photo © Eden Levi Am
Quand iel descend enfin sur terre, iel coiffe une perruque platine ou grise flottant au vent, et avance courbé·e en deux, jambes et bras tendus. Avec sa chevelure irréelle et ses jambes posées sur pointes iel a la grâce d’un animal juvénile qui tient à peine sur ses pattes laissant apparaître un corps typiquement Queer, car trouble, un corps chimère, quasi sans tête, lieu de tous les fantasmes et toutes les projections. À la fois sirène, quand elle se plie et se déplie semblant flotter dans l’espace comme dans une brise marine, quand balançant ses cheveux devant sa figure, surgit la pieuvre ou la méduse mais aussi la poupée désarticulée. La partition sonore de Sandar Tun Tun qui enveloppe d’une atmosphère subtile Catol Teixeira, ou au contraire l’entraîne dans une sorte de musique répétitive, comme produite par une machine qui tourne ajoute à la perception de la pièce comme hors d’un temps défini. Ainsi, elle crée une sorte de fiction d’iel-même, fabriquée par les techniques qui l’ont traversé·e.
Interprète classique de haut niveau ayant claqué la porte de cette discipline, Catol se pose très vite la question d’être ou d’avoir un corps, outil performant au service du mouvement et s’engage sur le chemin de retrouver une mémoire portée par ce corps objet et sujet à la fois. Iel y croise le fantôme de Nijinski, immortalisé dans Le Faune (du Prélude à l’après-midi d’un Faune qu’il crée en 1912) par une photo sur un mur… Si, le danseur icône des Ballets russes est apparemment peu présent, il hante néanmoins Clashes Licking pour ceux qui connaissent la chorégraphie initiale. On peut retrouver cette source d’inspiration dans le costume en latex transparent de Catol Teixeira qui voile le corps tout en le dévoilant comme celui du Faune imaginé par Bakst. Tout comme la forêt, dont on perçoit les émanations sonores au début de la pièce, rappelle le décor luxuriant du Pélude à l'après-midi d’un Faune. Mais aussi, la fin, très sexuelle, de la pièce, avec ses trémulations et ses mouvements plutôt masturbatoire, font signes vers cette œuvre qui scandalisa un certain public de l’époque. Signe des temps ? En tout cas, cette pièce ténébreuse et sensuelle de Catol Teixeira est une vraie réussite.
On n’en dira pas autant de Spongebabe in L.A. (4 Love & Anxiety) de Mercedes Dassy. Une sorte d’autoportrait en forme de chanteuse sur le retour. Au long de répétitions où s’alternent chansons, paroles intimes et interludes chorégraphiés, Spongebabe, une pop star qui prépare son come-back, icône pop et double fictionnel de Mercedes Dassy, nous parle de post-partum à l’aide de tire-lait.
Galerie photo © Maladita
Si la pièce commence très bien, avec l’interprète et chorégraphe s’éloignant de dos dans un paysage glacé, envahi par une brume blanche, avec des éclairages donnant une profondeur de champ formidable à l’ensemble signés Vera Martíns. Si la scénographie d’une blancheur spectrale et le costume d’insecte futuriste ou de femme fatale à la Gustave Moreau fabriqués par Flavie Torsiello, nous laissent dériver dans le blizzard, tandis qu’une gestuelle alentie et précieuse se déploie au sol, que voiles et draps, comme autant de spectres habitant le plateau, finissent par envelopper la danseuse pour l’entraver comme une toile d’araignée et que son costume de résille font signe vers une ultraféminité affirmée, bientôt, tout vrille. L’espace enneigé qui permettait à l’imaginaire de rejoindre les pôles commence à ressembler à des pages de magazine vantant une liste de mariage chic, tandis qu’elle se met à jouer la chanteuse au micro. La gestuelle vire au show mâtiné de cross fit, et Mercedes Dassy ruine sa pièce par un narcissisme effréné et d’autant plus insupportable. Dommage.
En hors d’œuvre, GIGI de Joachim Maudet est un tour de force chorégraphique, un on man show sur le fil de l’émotion. Tout commence presque sans y penser. Cet homme sur scène un peu dégingandé, qui semble un peu en panne d’inspiration, raconte sa vie d’artiste – mais revue par le vécu entre nuits d’hôtel et voyages incessants – et puis, on ne sait comment ça arrive, la danse ou la performance cabarétique vient s’insinuer dans ses gestes, tandis que Gigi l’amoroso chanté par Dalida s’introduit dans le spectacle et que Maudet se transforme sous nos yeux. Son T-Shirt symbolise la chevelure de la star, ses chaussettes des gants glamour. Est-il GIGI ? Est-il un autre ? Drôle à en pleurer, sensible, bien tourné et bien trouvé, le spectacle oscille entre un autoportrait plein d’autodérision et performance absolument magistrale.
Agnès Izrine
Le 24 janvier 2025, Théâtre Universitaire de Nantes dans le cadre du festival Trajectoires.
Distribution
Clashes Licking
Conception et performance : Catol Teixeira
Création lumière : Alessandra Domingues
Création sonore : Sandar Tun Tun
Régie Lumière : Lui L’Abbate
Costumes : Auguste de Boursetty
Suivi conceptuel : Fabian Barba
Regard extérieur : Dominique Gilliot
Spongebabe in L.A. (4 Love & Anxiety)
Concept, chorégraphie, écriture et interprétation : Mercedes Dassy
Production musicale et création sonore : Maxime Pichon
Costumes, accessoires et scénographie : Flavie Torsiello
Création lumière : Vera Martíns
Dramaturgie : Hanna El Fakir
Regards extérieurs : Sabine Cmelniski, Svétäl-Anand Chassol, Alphone Eklou
GIGI
Distribution : Chorégraphie et interprétation: Joachim Maudet
Regards extérieurs : Matthieu Patarozzi & Chloë Zamboni
Régie : Laura Cottard
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